La destruction par un commando de deux photographies de l’ américian Andres Serrano, dont le controversé « Piss Christ », déchaîne les passions. Des menaces de mort auraient été formulées.
Habituellement, on parle de tempête dans un verre d’eau. Là, il s’agit d’un ouragan dans un bocal de pisse. Avignon – l’ancienne cité des Papes – est à la une, car un « sacrilège » vient d’y être commis dimanche dernier. Deux photographies d’Andres Serrano, à thème religieux, ont été détruites par quatre hommes qui ne partageaient visiblement pas la même vision artistique de la Crucifixion que le photographe new yorkais. Hébergée par la fondation Yvon Lambert – un important galeriste – dans les murs de l’hôtel de Caumont, l’exposition « Je crois aux miracles » n’a pas donc tenu ses promesses. Inaugurée en décembre dernier, elle doit fermer ses portes le 8 mai prochain.
« Immersion » (Piss Christ) est donc une oeuvre « scatho », qui déchaîne les polémiques depuis sa création, en 1987. Un exemplaire a d’ailleurs été détruit en Australie, lors d’une exposition. Elle représente un petit Christ en plastique immergé dans un verre rempli d’urine. L’artiste a payé de sa personne pour remplir le gobelet. Avec « Piss Christ’, l’homme est dans son « jus », puisqu’il aime travailler les humeurs, comme au Moyen Age. Par humeur, entendez le sang, l’urine, la salive et le sperme. Au vu de ce dernier élément, on peut lui suggérer un thème: M. Berlusconi éclaboussé par du sperme couleur rubis. Sauf que là, c’est sûr, ce n’est pas de l’art, mais de l’info.
Des humeurs dans l’art
Les définitions de l’art sont aussi nombreuses que les artistes, leurs admirateurs et leurs détracteurs. Mieux vaut ne pas se hasarder à en donner une : les chapelles adverses jetteraient l’anathème dessus. Qu’Andres Serrano soit vu comme l’un des plus grands photographes actuels, pourquoi pas ? Tous les goûts sont dans la nature. Qu’un groupe de luxe (LVMH) sponsorise la photo d’un verre de pipi, passe encore. Certains capitaines de l’économie française – Arnault et Pinault – rivalisent à coups de millions en s’offrant d’improbables musées.
Lorsque le vulgum pecum ose dire qu’une oeuvre lui déplaît, l’intelligentsia hurle aussitôt à la censure, manifeste contre l’atteinte à la liberté d’expression. Malheur aux hérétiques qui refuseraient de se convertir au prêchi-prêcha des galeries d’art internationales. On mettra à l’index cet « intégriste culturel », ce « barbare », dans les grand-messes de type Fiac. Il aurait sans doute été préférable pour la paix publique que les catholiques continuent d’ignorer cette photographie poisseuse, expression du provoc’art, sauf qu’à faire profil bas, on finit par se faire pisser dessus.
Mais si tremper un crucifix dans de l’urine suffit à faire de vous un artiste, Andres Serrano pourrait se faire des cheveux. Même avec des problèmes de prostate, on peut remplir un bocal, y jeter contraventions ou déclaration de revenus (les « humeurs » de nombreux Français), photographier le tout et le mettre en vente sur sur eBay, à défaut d’avoir un galeriste attitré en la personne de M. Lambert. On pourrait aussi conseiller aux cathos de réagir en créant un « piss quelque chose ».
Un plasticien réac’ réaliserait un moule hyperréaliste d’Andres Serrrano dans du plastique, cela va de soi. Le modèle serait nu. Pas de pagne. Les remords à la Michel-Ange, c’est furieusement rétrograde. Cette effigie serait mise en croix et placée dans un coffre-fort aux parois transparentes. L’artiste exposerait le tout sur le parvis de Notre-Dame de Paris. Avec Quasimodo, le cardinal et ses ouailles ont l’habitude des monstres. Dans le souci de faire participer le public ignorant à la réalisation d’une oeuvre d’art, ce dernier serait invité à venir faire pipi dans le récipient (passons les détails). On ferait inaugurer ce « Piss Serrano victime des ultras » par le Ministre de la Culture. Ceux qui crieraient au scandale, à la profanation, on les enverrait bouler, les traitant à leur tour d’intégristes, etc., bouclant la boucle de la bêtise et de l’intolérance.
Tolérance et dialogue
Faire de l’art, ce n’est pas provoquer dans tous les sens, pousser à la haine, rompre le dialogue entre les cultures. Les religions font partie intégrante des civilisations, au même titre que l’athéisme ou l’agnosticisme, et tout le monde doit vivre dans le même bocal. Avec ou sans pisse. Quand on pense au foin qu’ont engrangé les caricatures de Mahomet, au moins certaines avaient-elles de réelles qualités graphiques. Mais là, est-ce qu’on parle bien d’art ? Si la réponse est oui, le croyant doit-il censurer sa foi pour que l’artiste puisse exercer sa libre expression ? Et si la réponse est non, peut-on crier au « martyre de l’art contemporain » ?
La loi réprime l’outrage au drapeau, à l’hymne national et les injures raciales. Mais les religions, chacun peut les piétiner sous prétexte que la République est laïque. Pourtant, vivre – et créer – dans le respect de la laïcité, c’est aussi faire preuve de tolérance envers les croyances ou les non-croyances de l’autre. L’oeuvre de Serrano aurait-elle été applaudie si, à la place du Christ, l’artiste avait fait plonger un handicapé dans le pipi ?
– Piss Christ (vidéo BFM TV)
http://www.youtube.com/watch?v=zZ1PO_YRrGY&feature=player_embedded
– Madonna and Child II (photo)