Leda gère l’entretien des berges de Meuse depuis de nombreuses années comme ici, à Anchamps.
Fermetures d’usines, modernisattion des méthodes de travail marginalisent une population peu ou pas qualifiée. Un retour à l’emploi est possible grâce aux ateliers chantiers d’insertion. Première partie d’un dossier consacré à l’une d’entre elles.
Leda, c’est d’abord le nom porté par une femme aimée de Zeus, qui prit la forme d’un cygne pour le séduire. Mais c’est aussi le nom d’un atelier chantier d’insertion (ACI), caché derrière une porte cochère au bas de la rue Jean Macé, presque face à la Maison du Dialogue Social.
En 2010, cette association a accueilli 25 stagiaires, uniquement des bénéficiaires du RSA, qui ont tourné sur 15 postes salariés. Les contrats durent de six à dix-huit mois et les candidats sont sélectionnés par le Conseil Général. Remise en confiance, formation, accompagnement figurent parmi ses objectifs.
Un parcours accompagné
Le principe du chantier d’insertion est d’accueillir des personnes sortant d’un emploi précaire (intérim ou CDD), se trouvant au chômage ou au RSA dans le but de les repositionner sur le marché de l’emploi durable. L’ACI leur permet d’être accompagnés dans une démarche de retour à l’emploi, dont ils sont acteurs. “Ils occupent un poste de travail , qui leur permet de reprendre les attitudes, les rythmes professionnels, et de développer des compétences sur le terrain, car nous avons différents types d’activités”, explique la directrice, Olga Victor.
Bûcheronnage, maçonnerie, conception bois permettent d’assimiler des compétences. Salvatore de Serra, encadrant technique d’insertion, en évalue l’acquisition. Les stagiaires s’investissent personnellement dans les démarches professionnelles (recherche d’un emploi ou d’une formation), tout en étant épaulés par Céline Etienne, conseillère d’insertion professionnelle.
C’est le cas d’Emile qui, le jour de notre visite, est sur le point de décrocher un CDD de deux mois dans une entreprise de BTP. Leda va analyser les conditions du contrat, les possibilités d’évolution vers un CDI.. Un retour à l’emploi ne doit pas s’effectuer légèrement. En cas de problème, réintégrer l’atelier d’insertion ne serait pas envisageable.
Quand ils trouvent du travail, les stagiaires décrochent la plupart du temps des CDD ou des contrats aidés. Trouver un CDI sur la Pointe dès sa sortie d’un chantier d’insertion est quasiment mission impossible. Des études récentes ont démontré que le département des Ardennes est l’un de ceux où l’emploi intérimaire est le plus développé.
Dans le cadre de la clause sociale, les travaux de rénovation du lycée Jean Moulin procureront un emploi à un certain nombre de personnes provenant de structures d’insertion. Leda fait d’ailleurs partie du comité de suivi du chantier, qui devrait durer quatre ans. Certains miraculés de l’exclusion sont déjà à pied d’oeuvre pour la première tranche de démolition.
Le bon plan des femmes
Le rôle d’accompagnateur des personnes ne s’arrête pas avec la fin de leur contrat d’insertion. Un suivi extérieur permet aussi d’avoir un retour. Président de l’association, André Royaux cite l’exemple d’une jeune femme, qui a réussi sa sortie de Leda. En septembre 2010, elle est entrée en formation Capa “travaux paysagers” au CFPPA de Saint-Laurent, revenant dans les locaux de la rue Jean Macé pour mettre ses travaux en pages. “Nous savons qu’elle a réussi son Capa, témoigne cet ancien principal de collège. Elle va travailler en saisonnière dans une mairie et cherche à faire une spécialisation de grimpeur-élagueur”.
Leda accueille des femmes depuis deux ans seulement. Ce n’était pas possible auparavant à cause d’un manque d’équipements collectifs. “Lorsque des femmes viennent, on leur présente le contexte, explique la directrice. Elles vont devoir s’intégrer dans des équipes principalement masculines et pratiquer des activités pas obligatoirement “féminines”. Ensuite, elles décident si elles souhaitent maintenir leur candidature.”
Avoir un public mixte (jeune / plus âgé, homme / femme) a dynamisé les personnes. “Nous avons accueilli une femme qui a fait un parcours rapide,se souvient Olga. En six mois, elle a trouvé un emploi. A son arrivée, elle se trouvait en perte de confiance totale. Quand on lui a mis une scie sauteuse dans les mains, elle a paniqué, mais quelque temps après, il n’y avait plus de problème. L’utilisation d’un outillage plus lourd est un facteur de remise en confiance. La personne peut enfin se dire qu’elle est capable d’accomplir la tâche.” Les parcours féminins se passent plutôt bien.
La première femme qui a franchi la porte de l’ACI avait travaillé dans l’industrie. Elle s’est formée, a passé son Bafa (niveaux 1 et 2). Un centre social l’a embauchée comme animatrice. Au cours d’un parcours d’un peu moins d’un an et demi, elle s’est reconvertie, formée et a préparé son examen au permis de conduire.
Les différentes issues du tunnel
Un atelier chantier d’insertion (ACI) rentre dans le cadre légal des structures d’insertion par l’activité économique (IAE). “Nous sommes conventionnés avec l’Etat pour trois ans, précise Mme Victor. Nous devons décrire le processus d’insertion mis en place, préciser de quelle manière nous accompagnons les personnes de leur entrée jusqu’à la sortie, et même après. Nous avons un certain nombre d’obligations à remplir. Tout cela est fortement encadré. Nous rendons des comptes régulièrement et nous sommes évalués sur notre taux de sortie”.
Différents types de sorties existent – sur l’emploi durable ou de transition. D’autres, dites « positives », concernent la formation professionnelle. Les structures d’insertion sont évaluées en fonction de leur taux de sortie. Pour l’exercice 2011, les taux imposés au niveau national sont plutôt exigeants, compte-tenu de la situation économique : 25 % de retour à l’emploi durable et 60 % de sorties dynamiques, c’est-à-dire tous types confondus (emploi, formation, emploi de transition). “Il faut noter que – sur ce point – l’association est en progrès par rapport à ce que nous avons connu au départ« , remarque André Royaux. Nous évoluons vraiment dans le bon sens”.
Avant la réforme de l’IAE (décembre 2008), Leda faisait plutôt de l’accompagnement social, de la sociabilisation. Mais avec la nouvelle donne et les obligations imposées aux ateliers de chantiers d’insertion par l’activité économique, la structure revinoise avait un choix à faire. Soit elle rentrait dans les clous en satisfaisant aux critères de l’accompagnement professionnel, soit elle ne s’inscrivait plus dans ce cadre-là.
Développer le territoire
Le référentiel du projet d’insertion comporte quatre volets, dont l’un précise que les chantiers doivent participer au développement territorial local. “Depuis le début, nous avons mis cet objectif en pratique, se rappelle André Royaux. D’ailleurs, Leda , c’est L’Environnement D’Abord. Nous sommes toujours intervenus sur des chantiers qui essayaient d’améliorer l’environnement et avaient un impact positif sur le tourisme”.
La professionnalisation, le renforcement de l’accompagnement professionnel ont permis de diversifier les activités supports, qui mettent les personnes dans une situation professionnelle et leur permettent de travailler un maximum de compétences tout en restant sur le “coeur de métier” du chantier, à savoir “l’environnement, l’assainissement, la valorisation du patrimoine en termes touristiques, qu’il soit naturel ou bâti”. Leda a été créée en 1993 pour intervenir sur les berges de Meuse.
“Au départ, raconte André Royaux, ce n’était pas un atelier chantier d’insertion, mais seulement un chantier pour occuper les Contrats Emploi Solidarité. Pierre Bérégovoy avait demandé aux villes d’embaucher des personnes au chômage sous forme de CES pour – en particulier – améliorer les rivières, qui avaient beaucoup débordé. C’était un peu conjoncturel. Auparavant, dans les années 80, il existait d’autres chantiers d’insertion qu’on appelait “chantiers-écoles”. On y intégrait les élèves qui sortaient des établissements scolaires sans aucun diplôme” .
Une logique environnementale
Un projet concernant les berges de Meuse dormait dans les cartons de Leda sans pouvoir aboutir, parce que le Ministère de l’Agriculture fait barrage. L’opportunité créée par la politique nationale, et l’appui de Gérard Istace, député-maire de Revin, permettent sa réalisation et l’embauche de CES pour nettoyer les bords du fleuve..
Mais aujourd’hui, l’ACI revinois ne se contente pas de faire du nettoyage “Nous avons développé un savoir-faire et travaillons sur deux communes, Revin et Anchamps, précise Mme Victor. Nous avons mis en place un conventionnement avec ces deux communes et l’Agence Rhin Meuse, en accord avec Voies Navigables de France”. Leda entretient 32 kilomètres de berges (25 pour Revin, et 7 pour Anchamps). En mars 2011, le conseil municipal de Revin a voté la mise en place d’un programme de revégétalisation des berges de Meuse, qui permettra notamment d’épurer l’eau.
Les kayakistes et les pêcheurs ont vu la différence en quinze ans d’entretien régulier. L’attrait, l’intérêt des bords de Meuse et la qualité améliorée de l’eau ont un impact indéniable sur le tourisme. Même les oiseaux sont revenus coloniser les rives désormais accueillantes.
“Nous ne faisons pas que de l’entretien environnemental, tempère toutefois Olga Victor, mais le projet de fabrication de toilettes sèches que nous développons actuellement est parti de là. C’est vrai que nous sommes mobilisés sur tout ce qui est rapport à l’eau et à sa qualité. Et les toilettes sèches, c’est aussi une question d’eau, d’assainissement, de tourisme, de valorisation du patrimoine.” Qui permet en plus à Leda de rester fidèle à sa logique initiale.