La Fête de la Lecture organisée par l’association Lire Malgré Tout vient de s’achever. Parmi les textes qui étaient proposés au public, une nouvelle évoque les crimes pédophiles perpétrés par le monstre de Charleroi et l’ogre des Ardennes. Retour sur images.
Dans le hall de l’Espace Jean Vilar, le rouge se décline joyeusement, passionnément, et même coquinement. Les enfants s’appliquent à dessiner les deux héros de la Fête de la lecture 2011 : le petit Chaperon rouge et le loup.
A quelques mètres de là, suspendus à un mobile, des textes – poèmes, contes, nouvelles – célèbrent la couleur. L’association Lire Malgré Tout a l’habitude d’inviter des écrivains et des « écrivants » à exposer leurs œuvres inspirées par le thème de l’année.
Un texte intrigue. Il a pour titre La salopette rouge. Son auteur, Agnès Schnell, habite Revin. « Mon grand domaine, c’est la poésie », prévient-elle, « mais comme je fais de temps en temps des lectures publiques, j’écris des nouvelles».
La salopette rouge est inspirée par les affaires Dutroux et Fourniret, deux « ogres des temps modernes, croqueurs de petits chaperons rouges ». Il est vrai que parfois les loups prennent forme humaine pour mieux tromper les héroïnes qui font le bonheur de leurs parents.
« Une petite fille a eu connaissance de l’affaire Dutroux », explique l’écrivain d’origine belge. «Elle est fatiguée par les remarques de sa maman, qui ne lui donne pas d’explications. Amélie est toute fière d’aller voir sa grand-mère à vélo. En dépit de l’interdiction maternelle, elle fait un détour et rencontre la camionnette blanche de M. Fourniret. Une dame en descend et lui demande quelque chose. L’histoire s’arrête là. Au lecteur d’imaginer la suite ».
Contrairement à ce qui s’est passé dans la réalité, La salopette rouge laisse une chance à la fillette qui aimait frimer à vélo, à moins que….
La salopette rouge, par Agnès Schnell
Vêtue de rouge solaire, sa couleur préférée, Amélie pédale avec l’énergie de ses onze ans. C’est vrai que la salopette, toute neuve, est un peu grande et trop large pour ses formes enfantines, mais elle a retroussé le bas des jambes et elle aime que le vent gonfle la bavette tel un foc de voilier. Elle a l’impression de voler, Amélie. Elle est sur son vélo comme sur un char à voile, l’été, au littoral.
Amélie pédale et réfléchit. Avant de participer à un entraînement à la piscine, elle doit rendre une courte visite à sa grand-mère. Elle lui apporte… Mais non, pas un pot de beurre et une galette, une part d’osso bucco dans un Tupperware, un morceau de tarte Tatin et quelques fleurs, des roses et des pivoines rouges.
– Des pivoines, Amélie ! Mais elles seront fanées quand tu arriveras chez ta mamie ! On pourra te suivre à la trace. Tu veux jouer au Petit Poucet ? Toi, mon petit Chaperon commissionnaire ?
Elle est agaçante, ma mère, pense Amélie, toujours ces vieilles comparaisons, comme si elle ne pouvait me comparer qu’aux héros de mon enfance… J’ai grandi quand même ! Pas pour elle, faut croire. Elle ne dit jamais les choses comme elles sont. Toujours des sous-entendus, des mots incompréhensibles, des chuchotements, des cachotteries avec ses amies. T’es bien trop jeune, qu’elle dit.
Les loups ne vivent pas seulement dans les bois, selon elle. C’est ainsi qu’elle me met en garde contre les « personnes malveillantes ». D’abord, il n’y a pas de bois chez nous, il y en a bien un petit mais il est à dix kilomètres au moins. Nous avons un parc, au bord de la rivière, je n’ai plus le droit d’y aller depuis que l’autre fou a kidnappé plusieurs fillettes. Et pourtant, c’était ailleurs, bien loin de chez nous, de l’autre côté de la frontière.
Ici, il n’y a ni forêt, ni chemin de fleurs ou d’aiguilles, ni ogre mais partout des maisons, des immeubles. C’est peut-être là qu’ils se cachent les prédateurs, comme dit maman…
– Méfie-toi Amélie ! Sois prudente Amélie ! Ne parle pas à n’importe qui. Ne suis pas les inconnus, même s’ils te demandent un service…
Je sais à quoi elle pense. A qui elle pense. Elle pourrait me dire simplement que certains hommes sont très attirés par les très jeunes filles, qu’ils ne leur veulent pas que du bien, qu’ils sont dangereux…
Moi aussi j’ai lu les articles concernant le pédophile qui a effrayé tous les parents. Il a séquestré, violé et tué des petites plus jeunes que moi, des jeunes filles aussi. Soudain, mes parents voyaient le danger partout et ils nous ont tout interdit, même d’aller seules au bout de la rue !
Il fait si bon ce matin. Amélie aimerait faire un détour, juste pour s’assurer que Laurie et Nelle, les deux commères de l’école, sont déjà dans la rue à cancaner. Elle aimerait leur faire envie. Son vélo tout neuf et la salopette rouge de la marque Caramini ne passeront pas inaperçus et, demain matin, tous les CM2 sauront qu’Amélie a encore été gâtée. Ah, ces envieuses !
Le détour n’est pas important, les copines habitent deux rues plus loin que celle de Mamie Reine. Quelques tours de pédale de plus seulement dans ces rues peu fréquentées et d’ailleurs Amélie est prudente.
Mamie peut attendre un peu l’osso bucco, il n’est pas encore 11h. Les vieux mangent tôt, ils ont toujours faim. Ils passent le temps devant la télé ou leur assiette, à bavarder ou à dormir. Reine est une gentille grand-mère, elle ne dira rien si son repas arrive un peu plus tard que prévu. Et même si elle s’inquiète et appelle la mère de la fillette, celle-ci trouvera bien une excuse pour se justifier, ce n’est pas l’imagination qui lui fait défaut.
Autrefois, je croyais aux loups et aux ogres. Je les voyais partout. Le gros Louis, par exemple, celui qui a gagné tant de concours de grosse bouffe : le plus gros mangeur de saucisses, de tartes aux myrtilles, le plus gros buveur de bière. Il me faisait si peur quand j’étais plus petite, trop gros, trop bruyant, trop rieur… c’est bien un ogre. Et pourtant, au fond, il est tellement gentil. Et le beau Marcel avec ses dents en pointe, ses dents de loup. Il s’invitait dans tous mes cauchemars. Et ma mère qui disait « il en a dévoré plus d’une, le Marcel ! »
Mais il n’y a aucun danger chez nous, puisqu’il n’y a ni forêt ni loup ni ogre. Juste un parc où je ne vais plus… Et l’ogre a été arrêté, son ogresse aussi. Il n’y a plus aucun risque maintenant.
Amélie pédale avec toute l’énergie de sa jeunesse. Bientôt, elle frimera pour les deux pimbêches, puis elle embrassera sa Mamie avant de s’éclater à la piscine. Bientôt…
Ce vélo est super ! Il ne me reste que ce pont à passer, la camionnette blanche à l’arrêt à doubler. Pourquoi cette femme me fait-elle signe de m’arrêter ? Cet imprévu va me retarder. Mais que me veut ?…
Merci beaucoup Geneviève !
Les affaires Dutroux et Fourniret ont bouleversé chacun d’entre nous. Tous les parents ont craint pour leurs petits chaperons rouges.
Il était difficile de garder le juste milieu entre le dire trop peu et le trop dire à nos enfants pour les mettre en garde, pour éveiller leur vigilance sans les affoler…
Au plaisir (grand !) d’une prochaine rencontre.