Scientifique de renommée internationale, Eric Buffetaut, a donné samedi, à l’Hôtel de Ville, une conférence sur la faune du jurassique. Une centaine de personnes s’étaient déplacées pour (re)découvrir cette partie de l’histoire ardennaise qui est enfouie dans les sédiments.
La Joconde fait les beaux jours du Louvre, mais le discret musée créé par l’Association Minéralogique et Paléontologique de Bogny-sur-Meuse possède lui aussi des trésors, interprétés en leur temps par Eric Buffetaut, directeur de recherche au CNRS*, qui est revenu en parler à l’invitation de Bernard Gibout, le président de l’association bognysienne.
Cette conférence s’inscrit dans un cycle, qui va se poursuivre par des animations avec les écoles de Bogny, dans le cadre du musée. La Bourse aux Fossiles, qui aura lieu les 14 et 15 avril prochains, en sera la conclusion. A cette occasion, une exposition présentera des fossiles exceptionnels, qui décrivent la vie dans les Ardennes sur 385 millions d’années, jusqu’à l’époque des mammouths.
Avant les oiseaux
« L’histoire géologique des Ardennes est inscrite dans ses roches », a rappelé Eric Buffetaut en guise d’introduction, avant de présenter le schéma de la géologie du département et de situer plus précisément l’ère jurassique (de -200 millions à -140 millions d’années) au cours de laquelle ont vécu deux des spécimens présentés lors de la conférence.
Il y a 195 millions d’années, au début du Jurassique, la géographie était différente, avec des océans pas encore formés. Les continents étaient encore réunis en une seule masse (la Pangée). Alors qu’on trouve assez fréquemment des restes de grands reptiles marins (ichtyosaures, plésiosaures) dans les sédiments des Ardennes, alors recouvertes par la mer, il est plus rare de trouver des fossiles de reptiles terrestres et volants.
Parmi ces témoins de l’existence de la vie sur des terres émergées, un ossement fossilisé datant du Toarcien (-183 à -176 millions d’années), au début du jurassique, a été trouvé en 1983 par Danielle Drouin, dans les « Marnes de Flize », à La Croisette, près de Charleville-Mézières.
Il s’agit d’un tibia et d’un fibula (équivalent d’un fémur) soudés de ptérosaure, les premiers vertébrés volants avant l’apparition des oiseaux. La découverte est plutôt inhabituelle, car ce fossile terrestre était déposé dans un milieu marin.
Le Ptérosaure Dorygnathus possédait une envergure de quelques dizaines de centimètres jusqu’à un mètre. Il se nourrissait de poissons, mais se rendait sur la terre ferme pour pondre ses œufs.
Un os chevron de cétiosaure
Une seule découverte peut mettre à mal les certitudes scientifiques. C’est ce qui s’est passé grâce à Claude Delacroix, qui a mis au jour un os particulier dans une carrière de calcaire oolithique de Sapogne-Feuchère. Une trouvaille toujours sans équivalent en France.
Le fossile était enchâssé dans un dépôt formé au jurassique moyen (-168 à -165 millions d’années), au Bathonien, dans une mer très peu profonde, proche de terres émergées. Pour donner une idée du paysage et du climat qui régnaient à l’époque à Sapogne, on peut citer les Baléares.
Cet os chevron de grande taille n’a pas été complètement dégagé de sa gangue pour ne pas l’abîmer. On lui donne ce nom à cause de sa forme. Chez les reptiles, les dinosaures, ce type d’os se trouve sous les vertèbres de la queue.
Eric Buffetaut est allé jusqu’en Grande-Bretagne pour étudier des squelettes plus complets et confirmer que le spécimen ardennais appartient bien au Cetiosaurus, qui signifie « lézard baleine ». On pensait jusqu’alors que ce dinosaure ne vivait qu’en Angleterre.
Le cétiosaure Owen (du nom de son découvreur anglais) est un dinosaure sauropode de taille assez conséquente. Il possède un très long cou, une grande queue et un corps massif. Sa longueur est estimée entre 15 et 20 mètres.
Les scientifiques se sont demandé comment un animal d’une telle corpulence pouvait se nourrir sur une bande de terre qu’on pensait trop étroite, le massif Londres-Brabant, qui englobait les Ardennes.
La paléogéographie a permis de répondre à cette question en émettant l’hypothèse que l’île Londres-Brabant était reliée au Bouclier Fenno-Scandien, permettant aux dinosaures de disposer d’un territoire plus vaste, et par là même de ressources alimentaires suffisantes.
Sables verts de l’Argonne
Un bond de plusieurs millions d’années dans le temps, et nous arrivons au crétacé inférieur (-112 à -100 millions d’années). Les Ardennes font partie d’un massif plus vaste, le Massif Rhénan. A cette époque, les fossiles les plus intéressants viennent du Sud du département et se trouvent dans des couches appelées « sables verts ».
Au 19ème siècle, ces sables ont donné lieu à une exploitation intensive, parce qu’ils contiennent des « rognons phosphatés », encore appelés « coquins » ou « crottes du diable». La modernisation de l’agriculture avait développé l’emploi d’engrais, provoquant ce qu’Eric Buffetaut qualifie de « ruée vers les phosphates ».
Pendant la période d’exploitation, de nombreux fossiles ont été découverts, car ces sables contiennent non seulement des nodules de phosphate mais des fossiles phosphatés très bien conservés, des invertébrés marins (ammonites), des plantes (cônes de conifères), des vertébrés marins (poissons). On y a trouvé aussi des restes d’animaux terrestres et volants comme les dinosaures et les ptérosaures.
Au début des années 1880, le paléontologue Henri-Emile Sauvage a décrit un spécimen rarissime trouvé dans les sables argonnais. Il s’agit d’un squelette partiellement articulé d’erectopus, dinosaure carnivore de 6 à 7 mètres de long, qui semble avoir été très présent sur le site et dont on a trouvé de nombreux ossements isolés.
Ce fossile a malheureusement disparu, mais quelques-uns de ses éléments – des moulages en plâtre – ont été retrouvés au Museum d’Histoire Naturelle de Paris, accompagnés d’un fragment authentique de mâchoire avec ses grandes dents tranchantes.
Un autre sauropode était présent en Argonne. Il s‘agit de l’ankylosaure (dinosaure cuirassé). Précisons que dans les sables verts, on connait aussi des restes de reptiles volants, comme le Ptérosaure ornithocheiridé, qui vivait il y a 100 à 112 millions d’années (Albien).
Les Ardennes, éden des dinosaures, qui l’aurait cru sans l’intervention d’Eric Buffetaut ?
Eric Buffetaut
Né en 1950 en Normandie, Eric Buffetaut est directeur de recherche au CNRS, attaché au laboratoire de géologie de l’Ecole Nationale Supérieure de Paris. Bernard Gibout l’a présenté au public : « Spécialiste français des vertébrés, il a d’abord travaillé sur les crocodiles fossiles avant de se spécialiser sur les oiseaux primitifs fossiles, les ptérosaures et les dinosaures. Chercheur passionné, il a parcouru le monde : France, Espagne, Canada, Mali, Tunisie, Corée du Sud, Chine, et actuellement, il dirige un chantier de fouilles en Thaïlande.
Ses recherches dans ce pays ont conduit à la découverte du plus ancien tyrannosaure connu et du premier dinosaure sauropode du Trias. il collabore également avec des paléontologues slovènes pour étudier les dinosaures de la plateforme adriatique. Il est également professeur honoris causa de l’Université de Bucarest, en Roumanie. Il a publié de nombreux ouvrages souvent consacrés aux extinctions massives, est l’auteur d’environ 500 articles scientifiques. En France, il a participé à la fondation du musée des dinosaures d’Espéraza, dans l’Aude, et il est président de l’association qui gère ce musée. » Eric Buffetaut est aussi un spécialiste des grandes extinctions.
BIBLIOGRAPHIE NON EXHAUSTIVE d’Eric BUFFETAUT
– Que nous racontent les fossiles ?, éditions du Pommier, 2009.
– Les dinosaures sont-ils un échec de l’évolution ?. Éditions du Pommier, 2008.
– Les Dinosaures, coll. Idées reçues, Ed. Le Cavalier Bleu, 2006.
– Sur les chemins des dinosaures, Ed. Aurian, 2005.
– La Fin des dinosaures : comment les grandes extinctions ont façonné le monde vivant, Fayard, 2003.
– Histoire de la paléontologie, PUF, 1998.
– Les mondes disparus , atlas de la dérive des continents, avec Jean Le Loeuff, Guy Le Roux, Berg International, 1998.
– Les dinosaures de France, avec Pascal Robin, BRGM Éditions, 1995.
– Les Dinosaures, PUF, 1994.
– Dans les traces des dinosaures, Les Éditions Pocket, 1991.
– Des fossiles et des hommes, Robert Laffont, 1991.
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