Daniel Titeux est secrétaire de la section PS du canton de Rocroi. Petit-fils de cloutier, fils d’un ajusteur-outilleur qui fut élu député des Ardennes, cet attaché commercial à la retraite voue un respect républicain au travail. @rdenne-mag l’a rencontré après le défilé du 1er mai.
@rdenne-mag : Quel regard porte sur ce 1er mai un militant socialiste de la première heure ?
Daniel Titeux : Le vieux militant que je suis est très content de se retrouver ici, à Revin, au moment du 1er mai. J’ai toujours fêté le 1er mai, parce que c’est la fête du travail et de tous les travailleurs. J’entends des propos aujourd’hui sur le vrai travail et le faux travail, ou les faux chômeurs, dans un pays où il y a 10 % de demandeurs d’emploi, dans une région où il y en a peut-être 15 % et davantage.
Le gars qui travaillait chez Porcher, c’est quoi aujourd’hui ? C’est un vrai chômeur, ce n’est pas un faux travailleur. Alors, cette façon d’opposer les Français les uns contre les autres, ce n’est pas sérieux. C’est de la propagande électorale. Ça ne tient pas la route.
@-m : Y a-t-il danger à agir de la sorte ?
D T : Complètement. Ça jette les gens dans les bras de l’extrême-droite. Moi qui suis né en 1941, à Revin, je pense toujours au maquis. Je me rappelle les causes et les conséquences de la Seconde Guerre mondiale. Le conflit est arrivé suite à une crise. Les conséquences ont été qu’en 1940, une grande partie des Français étaient collaborateurs, et très peu étaient résistants. Cela a d’autant plus de valeur ici, avec le maquis. Il faut faire attention à ce genre de discours, qui donne du grain à moudre au Front national, qui est vraiment très dangereux.
@-m : Regrettez-vous que le 1er mai ne soit pas fêté à Rocroi ?
D T : C’est très difficile de le faire, parce que la mairie est UMP. On avait pensé à un moment l’organiser, mais il est nécessaire de créer une dynamique. Il faudrait aussi avoir la participation, comme à Revin, de l’harmonie municipale, des associations. A Rocroi, c’est très compliqué, voire impossible. C’est dommage que ça ne se fasse pas. Alors, les Rocroyens vont défiler dans les communes alentour.
Il y avait beaucoup de monde ici, ce matin. C’est très bien. Nous avons participé à une belle manifestation. Il faut transmettre ça à nos descendants. Je voyais tout à l’heure sur la stèle de Jaurès l’inscription « Le Travail ». C’est fondamental. En 2010, j’ai fait campagne aux élections régionales avec comme thème « l’emploi, l’emploi et l’emploi ». Je pense que dans nos territoires comme dans d’autres, tant qu’on n’aura pas réglé cette problématique essentielle qu’est l’emploi, on n’aura rien fait. La clé du système, aujourd’hui, c’est l’emploi. Point barre.
@-m : Vous étiez l’un des 12 Ardennais présents sur la liste de Jean-Paul Bachy. Pourquoi cette candidature ?
D T : Je m’étais présenté aux régionales avec l’idée de défendre la 2ème circonscription. Je me disais : « Si on a au moins un conseiller régional de la Vallée qui peut s’attaquer au problème de l’emploi… » Le problème de l’emploi, on en parle depuis si longtemps, et plus on en parle, plus on a de chômeurs. Il faut trouver une solution.
@-m : Laquelle, selon vous ?
D T : J’avais pensé que la solution, c’était de créer un pôle d’excellence avec les entrepreneurs, les pouvoirs politiques, les syndicats, afin que chacun se mette autour d’une table, apporte sa pierre à l’édifice pour trouver des solutions à l’emploi. Malheureusement, ça ne se fait pas. Chacun tire dans son coin. A Charleville, l’agence régionale de développement économique travaille dans son coin. On n’a pas d’écho. On n’a pas de résultat. On n’a pas de bilan.
Le Conseil Général a créé une structure annexe*. On n’a pas non plus d’écho. Pourtant, nous sommes à la veille d’une vague de fermetures d’usines et de licenciements massifs à travers le pays, qui sont bloqués aujourd’hui pour cause d’élections, mais qui vont arriver.
@-m : Il faut donc réagir de toute urgence ?
D T : Si on ne se met pas autour d’une table, on n’y arrivera pas. Le patron seul ne peut rien. Même chose pour le politique, les syndicalistes. Il faut regrouper tout le monde, mais ce n’est pas simple, parce que beaucoup d’emplois sont partis. Je pense à Porcher, à Oxame, mais il y en a d’autres.
Beaucoup d’emplois ont été délocalisés, on ne les fera pas revenir. Malheureusement, les ouvriers qui avaient une très bonne qualification pour faire des baignoires en fonte, des éviers, qu’est-ce qu’on va leur faire faire à 50 ans ? Où voulez-vous les envoyer, à cet âge-là ?
@-m : Qu’est-ce qui bloque leur retour à l’emploi ?
D T : Les gens ont leur famille ici, leurs racines, leur maison. A Revin, les maisons sont invendables. Il y en a une centaine qui sont à vendre. On fait quoi ? C’est un vrai problème. Si on ne se met pas tous ensemble, on n’y arrivera pas. Surtout qu’on a en face de nous des Coréens et des Chinois qui sont loin d’être bêtes et qui ont, eux, trouvé la solution.
A chaque fois qu’on crée un produit, eux, ils viennent, le copient en mieux et à moindre coût. C’est difficile. Ça va être très difficile. Comme les gens ont peu de pouvoir d’achat, ils sont tentés d’acheter le moins cher. Je regardais hier une émission sur les sous-vêtements Eminence. C’est un produit fabriqué en France, de très bonne qualité, mais coûteux. Le gars qui n’a pas de pouvoir d’achat, il est tenté d’acheter chinois, et c’est la boucle infernale.
* L’agence de développement économique des Ardennes existe officiellement depuis le 1er janvier 2012. Son budget prévisionnel (600 000 €) devrait être financé par le Conseil Général, la Chambre Economique et les communautés de communes.