Ce 8 mai 2012, à l’heure où les Revinois honoraient les morts de la Seconde Guerre mondiale, l’un des leurs était fait chevalier dans l’ordre national du Mérite, à Charleville-Mézières, en présence du Préfet des Ardennes. Cette décoration, Michel Sage l’a gagnée à l’aune de son dévouement.

Michel Sage (au centre) a voué son existence aux autres, en tant que sapeur-pompier volontaire et responsable du monde combattant. (Photo @rdenne-mag)
Nommé sur la réserve personnelle du Président de la République, Michel Sage a obtenu ce matin, sur la place de l’Hôtel de Ville, la récompense de la Nation pour une vie consacrée aux autres, que ce soit au cours de sa carrière de soldat du feu ou de responsable à l’Union Nationale des Combattants.
Même s’il regrette que sa médaille n’ait pas pu être accrochée à sa vareuse de sapeur-pompier, qu’il a laissée au vestiaire voici douze années, le Revinois n’a pas boudé son plaisir lorsque le colonel Jean-Pierre Virolet, président départemental de l’UNC, a agrafé la médaille du Mérite sur son costume civil.
Peut-être s’est-il rappelé ce soir de novembre 1963, lorsque le sergent Georges Dalvai, effectuant sa tournée de calendriers, lui avait posé son casque de pompier sur la tête. Les vocations tiennent parfois à un instant magique.
Une « pile explosive »
L’heureux récipiendaire est né le 14 mars 1950 à Revin. Son père était ouvrier en fonderie et sa mère restait au foyer. Père de cinq enfants nés de deux mariages, il a aujourd’hui l’élégance d’associer celle qui partage sa vie à l’honneur qui lui est fait. Michel Sage est comme ça. Personnage entier, parfois râleur, mais le cœur gros « comme ça ».
Difficile de faire court pour sa biographie. Le bonhomme n’apprécie guère le repos et trouve toujours une cause à défendre. La liste de ses activités et de ses actions est donc particulièrement longue. Deux lignes de force se dégagent pourtant d’une existence bien remplie : le milieu du Feu et le monde combattant. Des lignes secondaires complètent toutefois ce portrait.
Agent de fabricant chez Ardam Electrolux, Michel Sage s’engage un temps au plan syndical. Délégué du personnel, membre du comité d’entreprise, délégué au CHSCT, membre du comité central d’entreprise, le sort de ses collègues le conduit à être réactif. « Véritable pile explosive, je ne pouvais pas rester indifférent devant certaines remarques déplacées faites par le chef de service à des copains de chaîne. »
Connu comme le loup blanc dans les rues de Revin, Michel l’est tout autant dans les collines boisées qui dominent la Meuse, car il est directeur de chasse à la société « La Revinoise ». Membre de la commission extra-municipale des Forêts, il apprécie ce « rôle important pour le suivi et l’évolution de notre patrimoine forestier », l’une des principales richesses de la commune.
D’un tempérament hyperactif, se reconnaissant volontiers « militariste », l’homme se considère toutefois comme « quelqu’un de réfléchi », aimant rendre service. Ce patriote ne supporte pas qu’on s’attaque à ce qui fait l’identité nationale, « nos valeurs, notre drapeau ou nos monuments.» Véritable touche-à-tout, ne reculant devant aucun défi, il a même été président de la société locale de Twirling, où ses quatre filles pratiquaient.
Rembobinons le film d’une vie pour mieux en apprécier les séquences…
Champion régional de cross
C’est alors qu’il prépare un CAP d’ajustage au lycée annexe François Bazin, d’Orzy, que l’élève Sage est repéré par ses professeurs d’EPS pour ses performances en course à pied. Il rejoint en 1965 le Revin Athlétique Club. Après une année d’entraînement intensif, le jeune crossman cumule les résultats au plus haut niveau départemental, régional et national. De 1966 à 1968, il obtient 13 titres de champion des Ardennes ou de Champagne (FFA, UFOLEP, ASSU).
« J’ai même fini 4ème au cross international de l’Humanité, en 1968 », se souvient Michel. « Ça se passait sur l’hippodrome de La Courneuve avec des Suisses, des Soviétiques, des Allemands. Les meilleurs coureurs français du moment étaient là, comme Boxberger, Soubirez. Avoir mené Revin à ce niveau est resté pour moi un souvenir impérissable ».
Entraîneur des plus jeunes, il porte le club sur les plus hautes marches. « On parlait de Revin dans toute la région. Nous, les petits, on avait des finances guère florissantes, mais on arrivait à concurrencer des villes comme Reims, Châlons, Nancy, Troyes. On a participé aux championnats de France. », rapporte-t-il avec fierté.
L’année 1968 représente une année charnière pour le Revinois qui, le 9 juillet, est embauché chez Arthur Martin en qualité de monteur sur chaîne. « C’était un travail difficile. Couplé aux entraînements, le physique était mis à rude épreuve ». Ce sportif dans l’âme arrête les compétitions avec le Revin Athlétique Club avec une pointe de regret.

L’ordre national du Mérite a été institué par le Général de Gaulle. Il récompense les mérites rendus à la nation française. (Photo @rdenne-mag)
Service militaire en Allemagne
Arrive une étape alors incontournable de la vie d’un représentant de la gent masculine. Le 1er juin 1970, Michel rejoint le 6ème Régiment de Dragons à Lachen-Speierdorf, village qui fait partie de la garnison de Neustadt an der Weinstrasse, dans la Palatinat (Allemagne). « Pour moi, une fois de plus, c’était énorme. J’étais soldat, qui plus est la fierté de mon père. En ce temps-là, c’était quelque chose de faire son service. »
Après avoir effectué ses classes, le jeune appelé est affecté à l’ECS. Souhaitant intégrer le Service Médical du régiment, il passe deux mois de formation au Centre d’Instruction des Services de Santé n°2 de Montigny-les-Metz et réussit le CADUCEE. Une fois ce diplôme en poche, le 2ème classe Sage regagne son régiment, où il est affecté à l’infirmerie en qualité d‘Infirmier Corps de Troupe FFA. « Durant huit mois, j’ai découvert le milieu médical, y compris lors du stage commando que j’ai effectué au Centre d’Entraînement commando de Kehl. »
« C’est lors de mon service que j’ai découvert que j’étais vraiment passé du côté des adultes, dans ce régiment d’AMX 13 au passé prestigieux », poursuit-il avec nostalgie. « C’est sans doute là que je me suis mis en tête qu’il fallait faire quelque chose pour ne jamais oublier tous ceux qui avaient laissé leur vie pour la Nation. »
Cet engagement, Michel Sage le tiendra plus tard, en rejoignant les rangs de l’UNC. Mais pour l’heure, le soldat s’apprête à retrouver la vie civile et la Vallée de la Meuse, étant libéré de ses obligations militaires, le 29 mai 1971.
Lieutenant honoraire
Début 69, sa notoriété sportive avait amené Michel dans le bureau du capitaine Jean Lorent, Commandant du Centre de Secours Principal de Revin. « J’étais fasciné depuis ma plus tendre enfance par le métier de sapeur-pompier. Ç’a été pour moi le déclic, au grand dam de ma mère, qui m’imaginait faisant face aux pires dangers. Moi, je me disais que j’allais aider les gens, les sauver corps et biens. C’était tout simplement génial. »
Michel Sage était entré au CSP le 25 mars 1969 tout en travaillant chez Arthur Martin. Après son retour d’Allemagne, il retrouve le chemin de l’usine, mais aussi celui du CSP.
Instructeur dès 1972, « j’ai découvert ma vraie passion, ma vocation, à savoir la formation de centaines de jeunes. » Le 10 juillet 1980, il devient moniteur national de secourisme et, jusqu’en l’année 2000, formera des centaines de pompiers et de civils.
Bien qu’il préfère la modestie à la forfanterie, l’ancien commandant du CSP de Revin se dit fier de son parcours chez les sapeurs-pompiers. « J’ai vécu les grands feux de forêts de 1976, le gros feu de chez Faure – l’usine avait brûlé pendant trois jours. J’ai vu des feux de toutes sortes : de camions-citernes, de transformateur haute tension. Je suis intervenu aussi sur des accidents terribles, qui marquent la vie à tout jamais. »
Michel Sage a pris le commandement du Centre le 10 décembre 1988. « Dans des conditions difficiles », précise-t-il. « J’ai dû relever l’honneur ce Centre, qui avait été sérieusement entaché par l’affaire du California. » Et ce travail de restauration d’image, il le conduit au détriment de sa vie familiale. Marié en 1979, il ne verra pas grandir ses enfants.
Sa fonction l’amène aussi à exercer des responsabilités au sein de multiples commissions départementales. Des tâches remplies à la satisfaction de tous. Mais après 31 années de bons et loyaux services, l’officier met un terme à ses fonctions, contraint par des soucis de santé. « J’ai raccroché ma veste le 10 février avec le grade de Lieutenant honoraire. »

De gauche à droite : Jean Rose, Michel Sage, André Delabaere, administrateurs départementaux de l’UNC. (Photo @rdenne-mag)
La mémoire du combattant
Ne prononçez pas le mot « retraite » devant Michel. Il pourrait le prendre pour une insulte. À peine a-t-il quitté les sapeurs-pompiers parce que son cœur bat la berloque qu’il se laisse embarquer dans une autre aventure.
Invité à barouder au sein de l’UNC, celui que ses amis appellent « Zébulon » (entre autres surnoms affectueux) répond naturellement présent. « Je me retrouvais dans le milieu militaire, dans une ambiance de camaraderie, comme l’affectionnent les anciens de 30/45, d’Indo ou d’AFN. » Adhérent depuis 1999 en tant que Soldat de France, il devient trésorier de la section de Revin le 14 mars 2004.
Motivé par Paul Lotterie, président départemental, « le devoir de mémoire est devenu pour moi une priorité, un véritable sacerdoce », assure l’homme avec conviction. Le 12 mars 2006, il est élu président de la section. Sa première satisfaction est de réparer une injustice. Depuis 62 ans, Robert Villeval attendait sa carte de combattant. Eh bien, Michel Sage la lui décroche.
En 2002 puis en 2009, l’UNC revinoise a le plaisir d’accueillir le Congrès Départemental de l’UNC. « Ecrire pour une carte de combattant, demander une retraite, faire des demandes d’aides financières pour des veuves dans le besoin, des demandes de récompenses, c’est mon quotidien. Ce travail me plaît. Je souhaite que ça dure longtemps. »
C’est lui qui, en 2008, lance l’idée d’une commémoration de la Libération de Revin. Rien n’a jamais été organisé en ce sens. Après avoir contacté Claude André (aujourd’hui décédé), un témoin du 3 septembre 1944, le projet prend corps. Les deux hommes contactent la municipalité. « Emballé par l’idée, Philippe Vuilque (député-maire, ndlr) nous a apporté un soutien total, aussi bien matériel que financier. L’association Ardennes 44 a participé à cette première avec ses véhicules. »
Le succès est au rendez-vous. Les Revinois jouent le jeu et applaudissent les « Libérateurs américains ». Plusieurs milliers de participants participent au défilé. Certains sont même habillés et coiffés comme à l’époque.
Pour autant, cette cérémonie ne lui a pas fait oublier les mânes des106 victimes de la barbarie nazie, comme le rappelle Michel avec une rage contenue. « Notre ville a souffert durant les invasions. Il en reste des séquelles. Revin a perdu 74 de ses enfants, le 13 juin 1944, au Maquis des Manises. »
Lui qui a bravé le feu n’a qu’une seule crainte : l’oubli. « Nos anciens partent les uns après les auytres. Il ne faut en aucun cas qu’on oublie. Jamais ! », s’indigne-t-il. Alors, si sa belle médaille bleue lui donnait les moyens de recruter à l’UNC, « Zébulon » pourrait peu-être profiter de sa retraite.

Michel Sage n’en a pas fini avec les honneurs. La médaille du Djebel (argent) lui sera remise le 14 juillet prochain. (Photo @rdenne-mag)
DECORATIONS de MICHEL SAGE
Sapeur-pompier : Médaille d’Honneur des sapeurs-pompiers (argent, vermeil et or) – Médaille d’Encouragement au bien (bronze) – Médaille de l’Etoile civique (bronze) – Médaille Chevalier de la Protection Civile (bronze).
UNC : Médaille du Mérite UNC (bronze, argent) – Médaille du Djebel (bronze, argent*) – Médaille du Travail (grand or).
* Lui sera remise le 14 juillet 2012.