Ulcéré par les incivilités qui empoisonnent le quotidien de ses administrés, Jean-Marcel Camus, maire, avait ému en menaçant publiquement de refuser d’organiser les prochaines élections législatives. Une table ronde s’est déroulée hier après-midi, en mairie, à l’initiative de Philippe Vuilque, député de la 2ème circonscription.

De gauche à droite : Philippe Vuilque, député de la circonscription (majorité présidentielle), Pierre Cordier, conseiller général, maire de Neufmanil, et Jean-Marcel Camus, maire de Nouzonville, ont posé avec les représentants des services de l’Etat les bases d’une réaction concertée visant a éradiquer les incivilités.
Lors de la conférence de presse qu’il a donnée avec Jean-Marcel Camus et Pierre Cordier, Philippe Vuilque a volontiers admis que le maire de Nouzonville avait exprimé un ras-le-bol légitime par rapport à la situation qui règne dans sa commune.
De par son exposition médiatique et à cause de la menace qui pesait sur le prochain scrutin, le député ne pouvait laisser les choses se dégrader. Sans perdre de temps, il a donc appelé le préfet pour lui dire en substance : « Dans une situation comme celle-là, il faut que l’ensemble des protagonistes se mette autour de la table, qu’on fasse un état des lieux très précis, qu’on s’échange les informations et qu’ensuite on essaie de regarder comment on améliore la situation. Ce qui a été fait. »
Le premier magistrat nouzonnais a reconnu par ailleurs s’être trouvé démuni au point d’en appeler aux services publics et à l’Etat. Ouvrant une parenthèse à l’adresse de la presse locale, il a refusé d’endosser le paletot de Zola. Pas de remake donc du célèbre « J’accuse », pointant de l’index le Préfet des Ardennes. Pour l’édile, son désarroi – et sa colère – étaient seulement dirigés contre les pouvoirs publics.
Des incivilités de proximité
Pour faire un audit de la situation, la réunion devait rassembler à la fois les élus, les services publics et de l’Etat, ces derniers étant seuls compétents en matière de délinquance. Tous ont répondu présent : le préfet Pierre N’Gahane et son chef de cabinet, le colonel Blériot, commandant du groupement de gendarmerie des Ardennes, le lieutenant Collard, commandant de la brigade de gendarmerie de Nouzonville,et la substitut du procureur de la République (le procureur étant en déplacement).
Du côté des élus, on retrouvait Philippe Vuilque, instigateur de la réunion, Jean-Marcel Camus, maire de Nouzonville (divers gauche), et Pierre Cordier, qui souhaitait participer en tant que conseiller général du canton et maire d’une commune proche qui, elle-même se heurte à des problèmes d’incivilités.
À l’issue de la réunion, le constat était unanime. Il a été communiqué par le député. « On considère bien évidemment que la situation actuelle n’est pas satisfaisante. La gendarmerie nous a indiqué que, selon elle, une trentaine de personnes étaient mêlées à ces actes et qu’elles travaillaient souvent en réseaux. Il s’agit de réseaux croisés, qui ne se recoupent pas toujours, d’où la difficulté exprimée par la gendarmerie. »
Si les faits incriminés ne relèvent pas de la grande délinquance, ils sont quand même d’une certaine gravité, en serai-ce que par leur répétition. Dégradations, cambriolages et incendies relèvent de ce qu’on appelle aujourd’hui des incivilités de proximité.
« La gendarmerie nous a indiqué comment elle travaillait, a poursuivi M. Vuilque. Encore une fois, elle considère que la situation n’est pas satisfaisante, y compris pour elle. Bien évidemment, il faut essayer de trouver des solutions pour améliorer cette situation, qui n’est acceptable ni pour les élus ni pour la population. Sachez toutefois que des investigations en cours devraient aboutir. »
Renforcer les effectifs de la gendarmerie
Un groupe de suivi devrait être prochainement mis en place, sous l’égide de Jean-Marcel Camus. Il se réunira tous les mois pour évaluer l’évolution de la situation. On y retrouvera des élus locaux, des représentants de la gendarmerie, de la préfecture et du parquet. Ce comité vérifiera si les décisions prises en amont sont véritablement appliquées sur le terrain et il les évaluera.
Au cours de la table ronde, le préfet a indiqué qu’il mettrait à disposition des moyens supplémentaires. Des réservistes seront appelés à venir épauler les 25 gendarmes de la brigade de Nouzonville. Une brigade qui, au demeurant, affiche complet – en termes d’effectifs – depuis plusieurs mois, comme l’a rappelé Pierre Cordier.
Le maire divers droite de Neufmanil a tenu à rappeler que l’Etat n’avait pas abandonné le territoire, soulignant les difficiles conditions d’exercice de la gendarmerie. « La brigade de Nouzonville – et sa petite antenne de Monthermé – couvrent un vaste secteur, a-t-il plaidé, qui va de la frontière belge de Pussemange jusqu’à Laifour. Cela représente une population de 25 000 habitants. C’est quand même énorme. »
Pour Philippe Vuilque, les incivilités de proximité sont dues – au moins partiellement – « à la situation économique, mais aussi à la désespérance sociale. Cela fait qu’aujourd’hui, notre problème à nous, élus, ce sont les mineurs. Ils sont totalement « désociabilisés », déscolarisés. Ils squattent dans les rues et nous posent souci, parce que nous n’avons ni les moyens ni les armes pour lutter contre ce genre de délinquance. »
Parmi les solutions envisageables, le député-maire de Revin a rappelé que les élus locaux disposaient d’un certain nombre de possibilités, citant le cas de sa ville, où se posent aussi quelques soucis de délinquance. Pour y remédier, l’élu a procédé à des rappels à la loi. Et même si ce moyen est souvent décrié comme « ne servant à rien », l’édile a affirmé qu’il n’en était rien. « Il y a eu une prise de conscience des parents, et les choses se sont améliorées », a-t-il assuré devant ses collègues.
En dehors des rappels à la loi, et même si les communes disposent de plans locaux de sécurité, les maires restent relativement démunis face aux incivilités de proximité, « qui nous gâchent la vie. » Philippe Vuilque a fait remarquer qu’on ne pouvait pas faire grand-chose contre « des jeunes qui empêchent les gens de passer sur le trottoir, qui créent une situation délétère. »
Vidéoprotection
Jean-Marcel Camus, pour sa part, était critique lorsqu’il a évoqué la société actuelle. « Il n’y a plus de valeurs républicaines, plus d’autorité parentale. La société se délite à grands pas », constatait-il amèrement. Après avoir comparé son vécu avec celui de son prédécesseur, Guy Istace, l’actuel maire de Nouzonville a regretté un « changement de mentalité ».
Certains comportements lui sont restés en travers de la gorge, comme cette pétition de commerçants, gênés par les travaux de la rue Chanzy. « Parce que ça les dérange ». À la suite de deux cambriolages perpétrés dans la commune, une deuxième pétition lui a été adressée pour réclamer cette fois des caméras de surveillance.
« Tout de suite, c’est la pétition. Il n’y a plus de dialogue, s’est insurgé l’édile. J’aurais pourtant aimé recevoir ces commerçants, discuter avec eux, et même boire un verre avec eux ; bref, créer un point d’ancrage. Là, je ne sens rien. » Et d’imiter le bruit d’une rafale de mitraillette pour figurer des relations qui n’en sont plus. Jean-Marcel Camus n’apprécie pas les petits et grands « yaka », « faut qu’on ».
La commune possède une petite trentaine de bâtiments publics, associatifs. Des vestiaires ont été vandalisés à deux reprises alors qu’ils ne sont utilisés que depuis quelques mois. « Ils ont été vandalisés au pied-de-biche. Tout a été broyé, broyé… C’est scandaleux », s’est emporté le premier magistrat, tout en annonçant que des alarmes allaient être posées dans les bâtiments qui accueillent les clubs de judo, de karaté et de jiu-jitsu. « Mais tout cela aura un coût », a-t-il averti.
S’il a admis que la pétition allait peut-être le contraindre à équiper la ville d’un système de vidéosurveillance, le maire a pointé du doigt la feuille d’impôts. « Le jour où l’on augmentera les impôts, j’espère que ces mêmes personnes comprendront qu’on les augmente. »
Jean-Marcel Camus s’est également inquiété de l’efficacité des caméras. « Est-ce que ce système répondra à nos soucis ? J’ai peur que ça déplace le problème. Les jeunes iront ailleurs. Et puis, une caméra ne prend que l’espace public, à ma connaissance. Elle ne doit pas filmer l’espace privé. »
Philippe Vuilque est alors intervenu pour rappeler les propos tenus lors de la réunion précédente. « L’intérêt d’un tel système de protection, c’est qu’il peut être dissuasif. Récemment, un audit portant sur l’ensemble des communes de France utilisant la vidéoprotection a rapporté que ce n’était pas la panacée. Ça peut être – la gendarmerie le reconnaît elle-même – utile dans un certain nombre de situations. C’est un peu un moyen complémentaire. »
La protection par vidéo interposée possède aussi l’avantage de montrer à la population que des moyens sont mis en place pour lutter concrètement contre la délinquance et qu’il existe une coordination d’actions entre la police municipale et la gendarmerie. « C’est important, a estimé le député-maire de Revin. Cet outil peut aussi rassurer la population. Mais ce n’est pas parce qu’on va mettre des caméras partout dans la ville que les problèmes vont disparaître. »
« Je n’ai pas de philosophie sur le sujet en tant que maire de Revin », a-t-il complété avant de rappeler que les élus étaient bien entendu intéressés par « un outil efficace, qui fait baisser la délinquance et qui protège. »
Le maire de Nouzonville a pour sa part confirmé que le dossier de la vidéoprotection serait évoqué lors d’un prochain conseil municipal, le temps de « voir financièrement où nous allons ». Des aides publiques peuvent être octroyées à l’installation, mais la gestion incombe entièrement à la commune. Hier, Jean-Marcel Camus n’était toujours pas convaincu du bien-fondé de la chose : « Les caméras sont-elles efficaces face à des gens cagoulés ? »

Pierre Cordier, qui connaît lui aussi des actes de vandalisme dans sa commune de Neufmanil, a voulu prolonger le débat sur l’utilisation des aides sociales.
Des télés avec l’allocation de rentrée scolaire
Pierre Cordier a voulu dépasser le débat en posant une question à ses yeux fondamentale – et qui fait le lit du Front national . « Doit-on encore verser de l’argent à des familles qui ne s’occupent pas de leurs enfants ? Doit-on augmenter l’allocation de rentrée scolaire pour des enfants qui n’ont pas un stylo, mais vont acheter des télés avec cette allocation ? »
Le maire de Neufmanil, qui ne manie pas la langue de bois, veut que l’argent « du social » soit orienté vers des aides basiques aux familles (nourriture, logement) et que son utilisation en soit contrôlée. L’élu a cité un exemple de dérive en la matière. Membre de la commission d’attribution de logements d’Habitat 08, il a rapporté avoir assisté à des situations « ubuesques », comme celle qu’il décrit ci-après. « Certaines personnes possèdent de grosses cylindrées, des décapotables, mais doivent 5 000 € à Habitat 08, parce qu’elles ne paient pas leur loyer. Enfin, ce qui leur reste à payer, parce que la CAF couvre 80 % de ce loyer. Je le dis clairement. À un moment ou un autre, trop de social tue le social. »
Pierre Cordier aimerait qu’une réflexion de fond soit conduite sur la question des aides aux familles, tout en reconnaissant que la majorité de celles qui en sont bénéficiaires ont réellement besoin d’être secourues, mais il a insisté sur le fait qu’il fallait être vigilant sur l’utilisation de ces fonds, qui sont « la somme de ce que les contribuables paient en impôts ».