D’habitude, on accuse plutôt les communes de droite de vouloir priver de cantine les enfants de chômeurs. Cette fois, c’est Revin, commune de gauche, qui fait les frais d’une « polémique pour de la polémique » au travers d’une Une et d’un article en page locale pour lesquels le député-maire Philippe Vuilque – en pleine campagne des législatives – réclame un droit de réponse au journal L’Ardennais.

Une feuille d’information a été distribuée cet après-midi dans les boîtes aux lettres des Revinois par des membres du conseil municipal.
Le ciel leur est tombé sur la tête. Jusqu’à présent, les conseillers revinois avaient confiance en la presse. Un article publié ce matin dans L’Ardennais et l’Union-Ardennes a pourtant mis le feu aux poudres. La ville envisagerait « de restreindre l’accès de la cantine aux seuls enfants dont les deux parents travaillent ».
Ce projet obligerait les enfants dont un seul parent travaille à retourner chez eux le midi pour dévorer leur steak-frites. Faut-il pour autant que le parent « non travailleur » soit forcément un demandeur d’emploi, et pas un parent au foyer ou en congé parental ? On peut se poser la question.
Etre ainsi jeté en pâture quand on a mis en place un groupe local de lutte contre les discriminations, ça ne fait pas plaisir. « Le téléphone a chauffé quand on a appris ça. On a tous été consternés », a témoigné le député-maire, encore très remonté lors de la conférence de presse qui a eu lieu ce matin en mairie.
Toutes tendances politiques confondues, afin de démontrer l’entière solidarité de l’équipe municipale, plusieurs élus étaient présents autour de Philippe Vuilque : les adjoints Alain Roy, Jean-Marie Martin, Cécile Stella (PS), Renée Nivelet (PCF), et les conseillères Ingrid Lempereur (PCF), Natalina Laygue (opposition).
Un ordre du jour léger
Lors de ce conseil des « dupes », l’édile n’était pas présent, retenu à Fumay pour une réunion publique. En fait, les élus avaient été convoqués pour voter les tarifs de l’accueil de loisirs (ALSH). Il n’avait pas été possible de le faire plus tôt parce que des éléments techniques manquaient pour en faire le calcul. (Cela avait été précisé lors du précédent conseil.)
En conséquence, l’ordre du jour était léger : quelques affaires financières et comptables, et le rapport de la commission des affaires scolaires. Le « gros » dossier de la soirée était une information sur le projet de crèche-RAM-cabinet dentaire-cantine, qui devrait être opérationnel à l’automne 2013 dans l’ancien collège Briand (lire par ailleurs). Alain Roy, premier adjoint, présidait la séance, déplacée exceptionnellement un mercredi.
Cécile Stella a présenté à ses collègues le rapport de la commission petite enfance. Un feuillet qui se termine par un court paragraphe consacré à la cantine scolaire : « Actualisation du règlement intérieur de la restauration scolaire donnant priorité à l’inscription de parents travaillant à deux. Cette proposition fait suite au nombre grandissant des familles sollicitant ce service et le risque de devoir refuser des inscriptions. »
De ces quelques lignes, une polémique est née, clouant la municipalité au pilori médiatique.
« Nos valeurs »
En préambule, le député-maire a rappelé que la politique de la Ville en matière d’aide sociale est essentiellement axée sur l’aide aux plus démunis. Le premier magistrat a cité notamment les exemples du centre aéré (les enfants de chômeurs bénéficient de tarifs préférentiels), ou encore la gratuité des fournitures scolaires en maternelle et en primaire. « Ce n’est pas une obligation, mais nous le faisons. »
Depuis le 3 janvier 2011, la ville a mis en place un nouveau service, une cantine (salle Jean-Luc Caron), qui rencontre un succès important. « Ce qui a été évoqué lors du conseil municipal, a reprécisé le député-maire, c’est le fait qu’on risque d’avoir plus d’enfants que prévu, mais il s’agissait seulement d’une évocation. Evocation ne veut pas dire position rédhibitoire sur une catégorie d’enfants. »
Si les membres de la commission ont commencé d’évoquer la manière dont il faudrait gérer cet éventuel « surplus » de petits consommateurs, il n’aurait jamais été question de cibler tel ou tel public. « À aucun moment, la question des enfants de chômeurs n’a été évoquée, a soutenu Alain Roy, parce que ça n’a effleuré l’esprit de personne. Pourquoi n’a-t-on pas évoqué cette catégorie d’enfants ? Parce que ça n’est pas dans nos valeurs. On peut évoquer une difficulté sans que pour autant on puisse l’interpréter d’une manière fallacieuse. C’est aussi un problème de déontologie journalistique.»
« Dans notre esprit, il n’a jamais été question de discriminer qui que ce soit, encore moins les enfants de demandeurs d’emploi », a renchéri Jean-Marie Martin.
Une politique sociale dynamique
Et pour enfoncer le clou, Philippe Vuilque a martelé pourquoi il avait voulu – avec son équipe municipale – remettre les choses au point. « Je veux dire qu’il n’a jamais été envisagé d’interdire à quelque enfant que ce soit l’accès à la cantine. Ensuite, je veux rappeler que, au contraire, le conseil municipal met en place une politique dynamique pour les plus démunis. Dans le tract (distribué ce jour à la population, ndlr), nous avons cité un certain nombre d’exemples, mais il en existe d’autres, notamment dans le cadre du CCAS. »
Alain Roy, premier adjoint, aurait aimé pour sa part que – dans l’article du quotidien ardennais – soient évoqués certains sujets abordés lors du conseil de ce 23 mai, à savoir le vote des fameux tarifs spéciaux (ALSH), ou encore l’aide volontaire de la ville au collège George Sand. « Il a même été question qu’une partie de cette aide soit affectée pour aider les familles en difficulté à la cantine du collège. » Question d’honnêteté intellectuelle, selon l’adjoint.
Manipulation électorale ?
Il n’a échappé à personne que ce fâcheux incident survient à quinze jours du premier tour des élections législatives. Philippe Vuilque n’accuse pas, mais il n’en pense pas moins : « Nous sommes dans une période particulière, un peu délicate, annonce-t-il avant de monter en pression. Je suis député-maire. Comme par hasard, je suis candidat aux élections, et on balance un titre qui est on ne peut plus polémique, qui n’a rien à voir avec la réalité des choses.
À la limite, c’est diffamatoire. Pas seulement pour moi, mais pour l’ensemble des membres du conseil municipal de Revin et qui, à la limite, on serait à même de porter plainte pour diffamation. » Un cri de colère ponctué laconiquement par Natalina Laygue, conseillère d’opposition : « C’est de la désinformation, pas de l’information. »
Un procès injuste
Cécile Stella, visiblement blessée, a pris la parole en tant qu’adjointe en charge du dossier. Elle a confirmé avoir discuté plus d’une heure avec le journaliste incriminé, après le conseil.
« J’ai précisé que nous avions un dispositif d’urgence et qu’en aucune manière on n’avait jamais laissé un enfant. Pour preuve, du jour au lendemain pratiquement, on a accueilli une petite fille en fauteuil roulant, alors que tout s’y opposait. La société de transport s’y opposait. On a tout mis en œuvre pour accueillir cette petite fille, qui depuis fréquente régulièrement la cantine. Nous avons réglé le problème avec la compagnie de transport. On a tout réglé, on a travaillé avec la famille. Vraiment, on ne peut pas nous faire ce genre de procès.
J’ai même parlé d’une hospitalisation, et d’une maman qui démarre un stage et l’apprend la veille par Pôle Emploi. […] J’ai dit aussi que la convention qu’on avait avec le prestataire prévoyait 60-70 couverts maximum. Aujourd’hui, on est prêt pour 80 couverts. On a embauché des personnes et on n’a jamais refusé un parent. […] Je fais ce qu’on fait tous ici, autant les élus que les salariés. On favorise. Il n’est absolument pas question d’exclure qui que ce soit, et encore moins les plus fragiles, sur la ville.
Enfin, il me semble que tout ce qu’on met en place en tant que services et projets sur ce mandat, et depuis le début, démontre bien qu’on va dans ce sens-là. Là où des boîtes ferment, nous, à la mairie, on recrute, et c’est avec l’opposition, collégialement. Ça n’a jamais posé de problème. »
Reprenant la lecture du paragraphe lu l’avant-veille, et interprété comme étant litigieux, Ingrid Lempereur commente : « On ne peut pas déduire de ce texte qu’on va exclure les enfants de chômeurs. […] J’ai des valeurs qui sont loin de ce qui a été écrit (dans L’Ardennais, ndlr). Si Cécile Stella avait proposé dans la présentation de son sujet l’exclusion d’enfants de chômeurs, j’aurais été la première à m’y opposer. »
Avant de conclure, Cécile Stella a replacé le dossier dans son cadre technique : « Il faut savoir qu’un règlement intérieur doit être présenté dans sa globalité à un conseil municipal. Nous sommes dans un travail d’aménagement de ce règlement. Il n’est pas encore validé par le conseil municipal. On est à un stade de réflexion. Nous essayons de trouver des solutions pour rendre ça viable. C’était simplement une information. »
Quant à Renée Nivelet, adjointe aux affaires scolaires, elle était plutôt amère : « On débat en public, on joue la transparence jusqu’au bout et…» Et on se retrouve l’après-midi à distribuer des tracts dans les boîtes aux lettres pour défendre son honneur d’élu.
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À noter qu’un enregistrement de la séance municipale a été réalisé par l’un des trois membres de la presse présents lors du conseil municipal du 23 mai 2012. Il corrobore les dires des élus revinois. Le cas des enfants de parents chômeurs n’y a jamais été évoqué.