Dans quelques courtes semaines, Electrolux rendra sa décision concernant l’avenir des 419 salariés du site Ardam. L’Intersyndicale vient d’adresser une lettre ouverte au patron Europe du groupe pour lui rappeler ses responsabilités économiques et sociales.

L’exaspération des salariés s’exprime de manière virulente, ici lors de la Marche européenne contre l’austérité. (Photo @rdenne-mag)
A l’occasion d’un comité central d’entreprise, à Senlis, la direction d’Electrolux annonçait le 19 octobre 2012 que le groupe avait décidé d’arrêter la production à Revin, fin 2014, de son lave-linge à chargement frontal (la « top »). Mais elle omettait d’expliciter sa décision. De quoi faire bouillir l’ensemble du personnel, Ardam ayant toujours été rentable.
« A ce jour, reprochent les auteurs de la missive, vous n’avez toujours pas communiqué les raisons exactes de cette décision. Nous n’avons toujours pas compris cette décision et nous nous demandons toujours si vous n’avez pas été manipulé par la présentation d’un bilan de transfert de la top à Olawa erroné. »
Ce bilan a été « épluché » dans le cadre du projet niVer. En effet, les données avancées par la direction en ce qui concerne le surcoût de production du site de Revin par rapport à celui d’Olawa (50 euros par machine) sont contestées par les Ardennais.
L’Intersyndicale reproche aussi à mots couverts le sort réservé au projet ARdennEs, dont les conclusions ont été rejetées avant même d’avoir été présentées à Bruxelles, le 28 septembre 2012. Ce projet visait à trouver des solutions industrielles pour garantir la pérennisation de l’usine à cinq ans. Plusieurs pistes avaient été soulevées, mais sans retenir l’attention du board. Coïncidence ? Régis Chainot, directeur général du site Ardam, démissionnait au début du mois de septembre.

La production de la Top doit cesser fin 2014. Qu’en sera-t-il du site Ardam au 1er janvier 2015 ? (Photo @rdenne-mag)
Projet niVer
L’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de gauche, le tollé unanime qui s’est exprimé lorsque le projet ARdennES a été rejeté ont obligé le groupe d’électro-ménager à revoir sa copie. Au moins pour la forme, car ce qui s’est passé ailleurs en Europe ces dernières années n’incline pas à l’optimisme. Un nouveau groupe de travail a vu le jour début janvier 2013. Il s’appelle niVer (Revin en verlan). Drôle de nom pour une « mission impossible ».
« A la demande du gouvernement français, poursuit l’intersyndicale, vous avez bien voulu relancer une étude concernant des solutions potentielles internes, solutions qui viendraient en complément de la top dont le marché s’effrite. » Or les conditions de travail du groupe niVer ne sont pas idéales. Ses experts éprouveraient des difficultés à obtenir dans les délais les informations sans lesquelles il lui est impossible, par exemple, de chiffrer ses solutions.
Plus grave, l’intersyndicale met en cause le bon vouloir de la partie d’en face :« De la part des experts désignés par le groupe Electrolux, nous n’avons pas senti une volonté de faire aboutir les différentes pistes : c’est le moins que l’on puisse dire. Les conclusions hâtives concernant certains postes présentées le 23 janvier en sont la preuve. »
Certaines pistes envisagées par le groupe niVer n’auront pas eu le temps d’être développées. C’est notamment le cas du projet Front 40 cm. D’autres semblent plus prometteuses, mais leur production doit garantir le plein emploi à l’ensemble des salariés. En effet, l’avenir d’Ardam n’est pas envisageable avec du petit électroménager, type hotte aspirante. Ce produit ne pourrait arriver qu’en complément de la production d’un gros appareil (machine à laver, lave-vaisselle…).
Lorsque les parties se retrouveront à Bercy, le 11 mars 2013, cela fera un an que les bonnes – et mauvaises – volontés se sont penchées sur le devenir d’Ardam. Jonas Samuelson rendra son verdict. Décidera-t-il de couper la tête à plusieurs centaines de salariés ardennais (en CDI ou intérimaires) ?
« L’attente est immense de la part des salariés de notre usine de Revin, avertissent les syndicats. La décision que vous allez prendre sera lourde de conséquences. Elle doit être de toute façon industriellement réalisable (…).»

Lors de la manifestation du 14 novembre 2012, les salariés d’Electrolux ont exprimé leurs craintes, leurs espoirs: « Electrolux veut nous affamer », « Après la marque Arthur Martin, l’usine de Revin ? », « Le Made in France, il y croit, on l’a testé ». (Photo @rdenne-mag)
La fin d’AEG
L’Intersyndicale compte bien tirer des leçons des précédentes délocalisations opérées par Electrolux. « N’oubliez pas le désastre financier et commercial provoqué par la fermeture de Nüremberg, recommande-t-elle. Une décision identique à Revin aurait au minimum les mêmes conséquences sur le marché français, le deuxième marché en Europe pour le groupe Electrolux. »
Fin 2005, le groupe suédois avait annoncé sa décision de fermer la plus grosse usine qu’il avait en Allemagne pour délocaliser fin 2007 sa production en Italie et en Pologne. (Déjà !) Le site de Nüremberg fabriquait des produits de marque AEG (lave-linge, sèche-linge, lave-vaisselle) et comptait 1 750 employés. Soit 40 % du personnel allemand du groupe licencié d’un seul coup.
Là aussi, la raison invoquée était une importante différence de coûts de production en défaveur du site allemand. Un bras-de-fer avait alors opposé le puissant syndicat IG-Metall à la direction. Plus de plus de 95% des salariés avaient voté la grève illimitée et le mouvement avait duré plusieurs semaines. Le groupe suédois avait finalement fermé l’usine AEG au premier semestre 2006, la production étant ralentie par un trop grand nombre… d’arrêts maladie.
Cette fermeture intervenait dans le cadre d’une vaste restructuration du groupe, en proie à des difficultés financières. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, puisque son résultat opérationnel a fortement augmenté en 2012 (5,18 milliards de couronnes, soit plus de 610 millions d’euros).
Pour mettre fin au conflit, Electrolux avait dû mettre la main au portefeuille en allouant à ses futurs ex-salariés une indemnité de licenciement de 1,8 mois de salaire par année d’ancienneté. Un accord qui avait fait exploser le coût d’arrêt de l’usine initialement estimé à 243,8 millions d’euros. Quant à la fermeture du site revinois, chiffrée semble-t-il à 70 millions d’euros, son coût pourrait bien être sous-évalué.
D’autre part, un appel au boycott des produits du groupe avait été lancé, occasionnant au groupe d’électro-ménager un important manque à gagner. Or n’en doutons pas, les syndicats d’Ardam n’hésiteront pas à s’inspirer du modèle allemand afin de peser sur la décision finale de Jonas Samuelson.
Humour ou dérision ? En conclusion de sa lettre ouverte, l’Intersyndicale appelle le boss Europe d’Electrolux à « réviser » le code d’éthique du numéro deux mondial de l’électroménager et à respecter les valeurs qu’il affirme appliquer. Réponse le 11 mars 2013.
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