L’annonce anticipée, le 6 mars dernier, de la décision d’Electrolux de « réduire la voilure » avant de céder son site revinois à un repreneur a mobilisé les troupes. Deux autocars supplémentaires ont été mis à disposition des salariés et de leurs soutiens. Récit d’une journée qui pourrait faire date dans l’histoire sociale du département des Ardennes.
Départ à 9h45, devant les portes de l’usine. Il ne neige pas, comme on le craignait. Huit autocars, plusieurs voitures particulières –qui nous dépasseront en klaxonnant – sont montés à l’assaut de la capitale. En tout, 500 Ardennais fiers de leur identité. Nombreux sont également les élus à faire le voyage.
Plus tard dans la journée, Jacky Sarazin, secrétaire de la section PC locale, regrettera que l’ensemble des commerçants n’aient pas baissé leur rideau pendant la durée de la réunion.
« Feux de détresse»
Comme prévu, sur une aire d’autoroute, près de Marne-la-Vallée, deux motards de la police prennent le convoi en charge. L’un d’eux demande à notre chauffeur de mettre ses feux de détresse. Ayant manifestement l’esprit de répartie, Joël Dujeux, secrétaire de la section PS du canton de Givet, intervient dans la conversation : «C’est de circonstance», commente-t-il. L’autre, engoncé sous son casque, reste de marbre. « C’est vrai qu’il a la sécurité de l’emploi », accuse un Revinois.
A la descente du car, l’intersyndicale s’empare de banderoles pour ouvrir le cortège qui va conduire la foule encore bon enfant jusqu’aux portes du ministère de l’économie et des finances. La réunion est fixée à 15 heures. Elle durera deux heures.
Mais pour accéder au « saint des saints », il faut disposer d’un sésame. En effet, un rideau de casques et de boucliers anti-émeute filtre l’accès à la rue de Bercy. Une centaine de gendarmes mobiles sont déployés sur le site de Bercy. « Une présence surdimensionnée, véritable provocation », selon M. Sarazin
Au fil des heures, l’ambiance évolue, tour à tour enjouée, violente, puis désabusée. Un nouveau style musical est né avec le recyclage des tambours de la Top en grosses caisses (une reconversion à soumettre au groupe Electrolux ?). Des mini-concerts sont organisés autour de la place du Bataillon du Pacifique.
Deux machines à laver sont portées par des croque-morts, puis dûment mises à mort à coups de manches à balai. L’une d’elles finira derrière la rangée de gendarmes qui protège la rue de Bercy des éventuels assauts ardennais. Tambour de « top », cotte de travail finiront suspendus aux feux tricolores en guise de protestation.
Pétards, trompettes, sifflets…, un vacarme assourdissant domine les ronronnements des moteurs parisiens. Il est destiné à faire entendre la voix des salariés jusque dans la salle de réunion ministérielle, où siègent Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif ; Pierre N’Gahane, préfet des Ardennes ; les membres de l’intersyndicale, Jean-Paul Bachy et Benoît Huré, respectivement présidents de la région Champagne-Ardenne et du CG08 ; Christophe Léonard, député ; Dominique Ruelle, conseillère générale ; Alain Roy, maire de Revin, et… les représentants du groupe Electrolux, dont son directeur général Europe, Jonas Samuelson.
Quelques débordements gâchent cependant l’ambiance. Des pétards éclatent à la tête des gendarmes mobiles, sont lancés dans les jambes de la presse ou encore dans un groupe de salariées, au risque de blesser quelqu’un. Les « mobiles » sont prêts à réagir. Des manifestants sont « gazés » par une « gendarmette » sans doute pas assez maîtresse de ses nerfs.

L’un des moments les plus spectaculaires de cet après-midi : le blocage des rues par certains manifestants.(Photo @rdenne-mag)
Rues fermées
Peu avant 15h30, un groupe de jeunes (des intérimaires, nous dit-on) bloque le boulevard de Bercy. Les conducteurs sont obligés de faire demi-tour. La presse parisienne saisit l’occasion pour faire quelques clichés en gros plan, et les forces de l’ordre pour se redéployer. L’étau se resserre autour des manifestants, dont certains sont très énervés.
Trois des quatre voies qui rejoignent la place du Bataillon du Pacifique sont désormais interdites d’accès par les forces de l’ordre. Si les choses dégénèrent, les Ardennais seront pris dans la nasse, puisque seule la rue qui mène à la gare de Bercy n’est pas fermée, quoi qu’elle soit surveillée par la police.
On pourrait se croire en plein tournage de film, entre les caméras de revinwebtv et celle – plus discrète – d’un «mobile» qui filme les manifestants caché derrière l’un de ses collègues.
Quelques scènes surréalistes meublent l’attente. Anita le clown distribue ses cartes de visite à deux gendarmes visiblement pas intéressés. Plus sérieusement, un dialogue s’instaure parfois –en pointillés – entre quelques représentants de l’ordre et les manifestants.
Les Parisiens se fraient un chemin entre les barrières, visiblement impressionnés – défavorablement – par la horde de sangliers qui en appelle à la sauvegarde de ses emplois.
Lorsqu’un officier vient annoncer la sortie imminente de la délégation ardennaise, la tension monte d’un cran. Une sono est rapidement installée. Faut-il se préparer à des échauffourées ? Derrière la ligne de casques se dessine la silhouette de Lysian Fagis, qui esquisse un mouvement de victoire.