Philippe Vuilque, ancien député et maire, ne mâche pas ses mots, comme en témoigne la seconde partie de l’entretien qu’il nous a accordé ce vendredi 29 mars 2013. L’actualité politique y est passée en revue : Hollande, Mélenchon et l’affaire Cahuzac… Le toujours socialiste de cœur livre ses impressions.

Pour Philippe Vuilque, François Hollande et le gouvernement auraient dû privilégier les réformes économiques, sujet majeur de préoccupation des Français.(Capture d’écran France 2)
@rdenne-mag : François Hollande est au plus bas dans les sondages. A votre avis, pourquoi ?
Philippe Vuilque : Vous savez que j’ai pris un peu de distance avec tout ça. Mes convictions restent entières. Elles restent de gauche et socialistes. Je pense qu’une erreur a été faite au début par François Hollande, lorsqu’il a pris ses responsabilités.
@-m : De quelle erreur s’agit-il ?
Ph V : Il a mis en avant les réformes de société au lieu de privilégier les réformes économiques. Durant les premiers mois, il fallait ne parler et ne se consacrer qu’à l’emploi et aux problèmes économiques. Certes, il y a eu les promesses de campagne. Il fallait les mettre en place, mais François avait cinq ans de mandature devant lui. Légiférer tout de suite sur le mariage pour tous – on n’a parlé que de ça dans beaucoup de médias -, c’était une promesse de campagne, mais ce n’est pas la préoccupation sociale des Français.
@-m : Fallait-il pour autant retarder de statuer sur le mariage pour tous ?
Ph V : L’un n’empêche pas l’autre, parce que les choses ont quand même avancé économiquement. Un certain nombre de dispositifs ont été mis en place, mais l’impression que les citoyens a été négative. Ils se sont dit : « C’est un dérivatif. On parle de ça, et pas des vrais problèmes des Français, à savoir l’emploi et la situation économique. »
En plus, il y a eu les cacophonies gouvernementales du début, un manque de poigne politique qui a fait que certains ont annoncé des choses qui n’étaient pas arbitrées. Quand on est ministre, comme disait Chevènement, on ferme sa gueule ou on démissionne. Certaines personnalités ont un peu dérapé. Dans l’opinion publique, elles ont donné l’impression d’une sorte de gouvernement d’amateurs, ce qui n’est pas bon dans une situation économique et sociale particulièrement difficile.
@-m : Qu’avez-vous retenu de l’intervention télévisée du Président, hier, sur France 2 ?
Ph V : J’ai apprécié, parce que déjà elle était bien maîtrisée. Ceci dit, dans sa première partie, il a « vendu » ce que le gouvernement a mis en place. Dans la deuxième, c’était plus tourné vers l’international. Tout le monde a considéré ses propos inattaquables.
@-m : Êtes-vous pleinement satisfait de ce qui a été dit ?
Ph V : On ne peut pas demander à ce genre d’émission ce qu’elle ne peut pas apporter. C’est un exercice difficile pour un Président de la République. Mais les citoyens attendaient des effets d’annonce qu’on ne pouvait pas leur amener. De toute façon, c’est un exercice qui recentre l’image, mais ce n’est pas ça qui change fondamentalement les choses. Après, la situation économique est difficile, mais je pense qu’il n’a pas suffisamment parlé de l’Europe, parce que le problème est essentiellement européen.
@-m : En quoi les problèmes économiques et sociaux de la France ont-ils à voir avec l’Europe ?
Ph V : Aujourd’hui, vous avez une seule politique monétaire – avec l’euro -, et 17 politiques budgétaires. Comment fait-on quand on n’est pas d’accord sur les politiques budgétaires ? L’imbécillité de la décision européenne vis-à-vis de Chypre est tout sauf politique. Elle est technique. Je ne comprends pas comment des politiques ont pu laisser faire ça, parce que les citoyens qui regardent ce qui se passe là-bas se disent : « Si, à Chypre, on peut contraindre les banques à faire telle ou telle chose, eh bien, on pourra nous y contraindre aussi. » Ce qui n’est pas vrai parce que le contexte n’est pas le même.
@-m : Le contrôle des mouvements de capitaux institué à Chypre est-il critiquable?
Ph V : Ce qui a été fait pour Chypre est une catastrophe en terme de communication. J’ai du mal à comprendre comment les politiques européens ont laissé faire ce qu’a fait la commission européenne sur le sujet. C’est dramatique et aujourd’hui, les citoyens n’ont plus confiance en l’Europe. Ils se disent : « Aujourd’hui, c’est Chypre. Demain, ça va être quoi ? On va prendre notre argent dans les banques ? » Voilà comment raisonne l’opinion publique. Il y a, de la part de l’ensemble du gouvernement, un manque de maîtrise du processus européen.
@-m : Comment cela?
Ph V : François Hollande n’a pas dit que la politique européenne, c’est l’Allemagne qui la fait. Comme nous sommes beaucoup en difficulté et que c’est l’Allemagne qui dicte les règles, eh bien, on rame. Malheureusement, Merkel a une conception de l’Europe qui n’est pas la nôtre. Hollande l’a très bien dit, d’ailleurs. Elle veut continuer à faire de la restriction budgétaire, c’est-à-dire apurer les comptes (ce qui est bien), mais si vous n’avez pas de perspectives de croissance et si vous ne donnez pas d’espoir aux Européens, eh bien, nous allons droit dans le mur.
@-m : La situation de l’Europe est-elle comparable à la crise de l’entre-deux-guerres ?
Ph V : On compare toujours aux années 30. Les choses sont différentes, mais on est quand même dans un processus très inquiétant pour l’Europe. Et demain, il n’est pas impossible que, avec ce qui se passe à Chypre, en Grèce, en Italie, il y ait un pays qui sorte de la zone euro. Alors là, c’en sera fini de l’euro. On va avoir un repli des pays qui sera économiquement catastrophique, parce qu’on ne s’en remettra pas.
@-m : Qu’est-ce qui menace l’Europe ?
Ph V : Aujourd’hui, nous avons une montée des populismes d’extrême-droite et d’extrême-gauche. Nous risquons d’être surpris aux prochaines élections européennes et municipales. Déjà, je pense que le PS va « s’en prendre une belle ». Quant aux élections européennes, n’en parlons pas. Regardez ce qui s’est passé lors de l’élection législative partielle dans l’Oise, c’est très inquiétant. (Dans la deuxième circonscription, Jean-François Mancel (UMP) a battu le candidat PS, mais remporté la victoire de justesse, au second tour, avec 51,41 %, puisque la candidate du Front National avait obtenu 48,4 % des suffrages, ndlr).
@-m : Jean-Luc Mélenchon, la figure de proue du front de Gauche, critique le gouvernement de façon virulente. Quel est votre commentaire ?
Ph V : Je pense qu’il est totalement irresponsable. Ce n’est pas une surprise, puisque Mélenchon a un fonds de commerce. C’est un commerçant de la politique. Il est obligé de vendre sa soupe. Et le meilleur moyen de vendre sa soupe, c’est de faire du scandale à la une, de balancer la chemise sur les petits copains qu’il est censé soutenir.
Mélenchon, je le connais bien. Il prend la technique de l’extrême-droite appliquée à l’extrême-gauche pour arriver aux mêmes résultats, c’est-à-dire à un populisme exacerbé de droite ou de gauche qui empêchera les politiques responsables de droite et de gauche de mener à bien des réformes ou, en tout cas, d‘essayer de mener à bien des réformes, notamment en Europe. C’est très inquiétant.
@-m : Peut-on dire que les objectifs politiques de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon sont similaires ?
Ph V : Les moyens d’y arriver sont proches. Bien sûr, les idéologies sont totalement différentes, mais les moyens de parvenir au but sont similaires. Quand Mélenchon attaque un ministre ou raconte n’importe quoi, il sait que parce qu’il va le dire, son propos va être repris – les journalistes n’attendent que ça. C’est une stratégie bien arrêtée qui a été mise en place. Et c’est celle qu’a pratiquée le Front National depuis des années. Cette stratégie d’extrême-gauche populiste ne grandit pas le personnage.
Aujourd’hui – mais ça ne date pas d’hier -, les citoyens sont plus réceptifs à ce qu’ils entendent, parce qu’on est dans la simplicité caricaturale, aussi bien avec le Front National qu’avec le Front de Gauche. C’est le « grand yaka », « ya qu’à faire çi ou ça », alors que les choses sont de plus en plus compliquées et que le temps politique n’est pas le temps médiatique. Ils utilisent le temps médiatique contre le temps politique.
@-m : Pas facile d’être un homme ou une femme politique aujourd’hui ?
Ph V : Le drame, c’est qu’on est dans la dictature de l’immédiateté. Or la politique ça demande du temps, de la réflexion. Quand vous faites une réforme, il faut qu’elle se mette en place, etc. Donc aujourd’hui, on est dans ce hiatus où les gens attendent beaucoup des politiques, alors que les politiques ont besoin de recul. Or ils ne peuvent plus avoir ce recul. Et là, vous avez des politiques qui jouent avec cette réalité en disant : « Ya qu’à ceci… cela». Vous avez Marine Le Pen d’un côté, Jean-Luc Mélenchon de l’autre.
@-m : Mais qu’en est-il du côté des élus et politiciens « traditionnels » ?
Ph V : Ils continuent à se bouffer le nez entre gauche et droite de manière caricaturale. Vous avez là le risque d’une aventure électorale – parce que si aventure il y a, elle sera électorale -, d’un extrémisme qui aujourd’hui peut-être n’est pas si impossible que ça. Si on revotait aujourd’hui dans la deuxième circonscription, celle-ci passerait à droite ou au Front National.

Contraint à la démission suite à l’information judiciaire qui le vise pour blanchiment présumé de fraude fiscale, Jérôme Cahuzac a quitté son poste de ministre du Budget le 20 mars 2013. (DR)
@-m : Vous êtes un proche de Jérôme Cahuzac, accusé d’un délit fiscal. Quel est votre commentaire sur ce qui lui arrive ?
Ph V : Nous retrouvons là ce que je disais par rapport à la dictature de l’immédiateté et des médias. Je connais bien Cahuzac, c’est un copain. On reste en relation ensemble. Je ne me prononcerai pas sur le fond de l’affaire. Je ne sais rien. Je le connais, c’est quelqu’un de très brillant. D’ailleurs, c’est une grosse perte pour le gouvernement. Une très grosse perte.
Mais ce que je dois constater, c’est qu’aujourd’hui, vous avez un média – Mediapart ou un autre – qui peut balancer du jour au lendemain des informations qui ne sont d’ailleurs pas vérifiées. Quand Mediapart a balancé le rapport du fameux inspecteur des Impôts qui avait eu maille à partir avec Cahuzac, lui-même a dit ensuite que les ¾ du rapport étaient des choses non vérifiées, des carabistouilles. N’empêche que Mediapart avait balancé ( …). En plus, Cahuzac vit une situation personnelle délicate, il est en divorce avec son épouse, etc.
@-m : Alors, cette affaire, c’est quoi ?
Ph V : L’affaire Cahuzac est digne d’un Simenon. C’est les interférences d’affaires les unes par rapport aux autres, personnelles, politiques, comme avec Michel Gonelle, un adversaire politique (maire RPR de Villeneuve-sur-Lot, battu 2011 par Jérôme Cahuzac, ndlr). Vous aviez tout pour créer une situation délétère.
@-m : Que reprochez-vous à la presse, et à Mediapart en particulier ?
Ph V : Mediapart est un média qui pense pouvoir tout se permettre sans vérifier ses sources. Il considère qu’on peut raconter n’importe quoi sur le politique. À lui de dire que ce qu’on dit n’est pas faux. C’est le renversement de la charge de la preuve. On tombe sur la tête, là. On est dans une dictature.
Je pense à Sarkozy. Dieu sait si je ne lui suis pas favorable. Qu’est-ce qui se passe dans l’affaire Sarkozy ? Vous avez un juge qui ne peut pas le poursuivre pour le financement de sa campagne, parce que c’est prescrit. Tout le monde sait que Mme Bettencourt – y compris, à l’époque, son mari – finançait à qui mieux mieux le RPR puis l’UMP. C’est de notoriété publique.
@-m : Mais Nicolas Sarkozy a été mis en examen pour « abus de faiblesse »…
Ph V : Le problème n’est pas là. Il est celui de la légalité du financement de la campagne. Qu’un juge dans l’impossibilité de poursuivre pour cause de prescription balance Sarkozy en examen pour abus de faiblesse, ce n’est pas sérieux. (…) Ça crée une sorte de malaise dans l’opinion publique. Déjà avant, c’était « tous pourris », mais alors là, c’est encore pire.
À la limite, les politiques savent qu’ils font un métier dangereux, mais c’est la même chose pour le citoyen lambda, qui peut avoir demain le même problème. Je trouve quand même cela très inquiétant. Ce qui est dramatique, c’est que dans ces cas-là, vous ne pouvez même plus vous défendre (…).
@-m : Les médias accuseraient donc à tort l’ancien ministre du Budget ?
Ph V : Je ne sais pas quelle est la réalité des choses, mais on va rechercher des situations, des affaires vieilles de quinze ans, qui sont sorties de leur contexte. Les médias et les citoyens jugent par rapport à l’immédiateté, par rapport à aujourd’hui. Il y a quinze ans, les choses étaient différentes : Cahuzac n’avait pas été réélu. Il a monté une société, comme moi. Il a fait des affaires. Il a peut-être fait des affaires avec une société en Suisse. Ce n’est pas pour autant qu’il a eu un compte en Suisse. Vous voyez… Amalgame.
@-m : A-t-il eu raison de démissionner ?
Ph V : Politiquement, il ne pouvait pas faire autrement. (…) Mais je trouve que la démocratie fonctionne très mal et fonctionne sur la tête. Et ça ne fait le jeu que des extrémismes. Extrémismes de gauche comme de droite, et c ‘est ça qui est très inquiétant. Ce genre de situation crée une sorte de climat qui est délétère et favorise le « tous pourris ».
@-m : Vous avez quitté la politique. Quelle est votre vie aujourd’hui?
Ph V : J’ai créé ma société de conseil et lobbying. Plusieurs entreprises ont déjà pris contact avec moi pour obtenir une aide dans leurs contacts avec les collectivités locales.(…) Tout ça est tout à fait légal. Je suis rémunéré au pourcentage. Je me déplace pas mal. Ce qui me fait dire que, de toute façon, je ne pouvais plus continuer à assumer mon mandat de maire, qui est incompatible – comme je l’avais dit à l’époque – avec ce que je pensais faire.
@-m : Et côté famille ?
Ph V : Je ne cacherai pas que les premières semaines, le samedi et le dimanche, lorsque je me suis retrouvé à la maison, je me demandais ce qui m’arrivait. Pour la vie de famille, c’est un changement salutaire.
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Mise à jour du 2 Avril 2013, à 21h30.
Jérôme Cahuzac vient de publier sur son blog la déclaration suivante :
Par lettre du 26 mars 2013, j’ai demandé à Messieurs les juges d’instruction Roger Le Loire et Renaud Van Ruymbeke de bien vouloir me recevoir afin que, délivré des obligations de ma fonction, je puisse enfin donner les explications qui s’imposent au regard de la détention à l’étranger d’un compte bancaire dont je suis le bénéficiaire depuis une vingtaine d’années.J’ai rencontré les deux juges aujourd’hui. Je leur ai confirmé l’existence de ce compte et je les ai informés de ce que j’avais d’ores et déjà donné les instructions nécessaires pour que l’intégralité des actifs déposés sur ce compte, qui n’a pas été abondé depuis une douzaine d’années, soit environ 600.000 €, soient rapatriés sur mon compte bancaire à Paris.
A Monsieur le Président de la République, au Premier Ministre, à mes anciens collègues du gouvernement, je demande pardon du dommage que je leur ai causé. A mes collègues parlementaires, à mes électeurs, aux Françaises et aux Français j’exprime mes sincères et plus profonds regrets. Je pense aussi à mes collaborateurs, à mes amis et à ma famille que j’ai tant déçus.
J’ai mené une lutte intérieure taraudante pour tenter de résoudre le conflit entre le devoir de vérité auquel j’ai manqué et le souci de remplir les missions qui m’ont été confiées et notamment la dernière que je n’ai pu mener à bien. J’ai été pris dans une spirale du mensonge et m’y suis fourvoyé. Je suis dévasté par le remords.
Penser que je pourrais éviter d’affronter un passé que je voulais considérer comme révolu était une faute inqualifiable. J’affronterai désormais cette réalité en toute transparence.