Jean Ferrat a chanté « Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers… » pour que l’horreur des camps de concentration nazis ne tombe pas dans l’oubli. Ce jeudi, les Ardennais ont eux aussi, par milliers, témoigné par leur présence « pour qu’un jour les enfants sachent qui vous étiez », Cabu et les autres…

« Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux », fredonnait encore Ferrat. Charb, lui, avait affirmé : « Je préfère mourir debout plutôt que vivre à genoux. » L’Histoire n’en finit pas de se répéter. (Photo @rdenne-mag)
Le ciel carolo était au diapason des cœurs en ce jeudi mémoriel. Bien avant midi, des silhouettes abritées sous leurs parapluies convergeaient déjà par grappes vers la Place Ducale. Pas un sourire sur ces visages encore hagards parfois, ou pour le moins sonnés par la violence du geste qui a tué les joyeux drilles qui voulaient nous faire mourir de rire avec leurs caricatures.
Ils étaient 5 000 et sont venus d’horizons différents pour rendre hommage aux victimes de la barbarie, mais aussi pour affirmer haut et fort, « debout », leur attachement à la liberté.
Noire de monde (ne portait-on pas le deuil de la tolérance ?), la Place Ducale semblait comme groggie, mais plus le début de la cérémonie approchait, plus elle semblait retrouver ses sens. Autour de la fontaine en grès rose, des lycéens portaient haut caricatures, affichettes « Je suis Charlie’ et crayons, outils du dessinateur.
Sans doute ignorent-ils que les Ardennes ont vu naître, il y a une vingtaine d’années, un journal satirique, mélange impertinent et vachard de Hara Kiri, Charlie Hebdo et Canard Enchaîné. Les « géniteurs » du Créton étaient Michel André (décédé en 2012) et Philippe Joliclerc. Cette feuille libertaire, qui érigeait l’irrespect en vertu, est parue entre 1991 et 1995, « victime d’une usure et des lois Pasqua contre la liberté d’expression », comme le regrette Jean-Claude Mahy sur les réseaux sociaux.
Toutefois, si Le Creton est mort, cela ne doit pas être le cas de la presse satirique. Des bougies allumées sur le rebord de la fontaine témoignent de cette volonté. L’avis de recherche concernant les tueurs est placardé sous la vasque supérieure. Il met un visage – ou plutôt deux – sur le mal absolu de ce début de 21ème siècle : le fanatisme meurtrier, qui voudrait nous contraindre à renier nos valeurs pour nous imposer l’obscurantisme en guise de Constitution.
La Marseillaise
À trois reprises, la Marseillaise sera entamée sans être reprise par la foule. Dommage. Mais les lycéens qui ont initié cette profession de foi en la démocratie ont ainsi rendu les honneurs à toutes les victimes non seulement de la rue Nicolas-Appert, mais à celles qui – de par le monde – sont mises à genoux par les zélateurs de la haine. Le drapeau tricolore flotte au milieu du rassemblement. Un symbole d’union, voire de communion, qui réunit par la pensée non seulement quelques milliers d’Ardennais, mais 66 millions de Français arc-boutés contre l’obscurantisme instauré en religion d’Etat.
À quelques encablures du bateau ivre de douleur qu’est à ce moment la Place Ducale, les cloches de St Remi sonnent le glas. Ils ont dû bien rigoler, les bouffeurs de curé, d’entendre les églises de France commémorer leur martyre laïc, voire libertaire.
C’est que l’heure est au rassemblement national. Mécréant ou croyant, bébé dans sa poussette ou papy de la génération Cabu, militant politique ou simple citoyen, « ils sont tous Charlie » en cette journée de deuil national.
Alors que nos politiques participent à la cérémonie officielle qui se déroule à la préfecture, le peuple rompt enfin le silence. Des applaudissements, d’abord timides puis nourris, s’élèvent vers les nuages lourds de pluie. En cet instant, Charleville n’est pas la petite ville de province « supérieurement idiote » décriée par Arthur Rimbaud, dont les mânes circulent certainement entre les manifestants.

Charlie Hebdo survivra à l’attaque de ceux qui voulaient le tuer. (Capture d’écran du site charliehebdo.fr)
Ahmed
En contrepoint de la fierté juvénile, l’émotion des aînés vaut blessure symbolique. Les yeux rougis, Yves Kretzmeyer, dessinateur, témoigne et lâche dans un souffle : « Surtout, pas d’amalgame ».
Contrairement à ce que l’extrême-droite voudrait faire croire à une population sous le choc, l’équation Islam égale Djihad est fausse. N’oublions pas déjà qu’un musulman, Ahmed Merabet, policier, a été achevé d’une balle dans la tête, à la suite de l’attaque du siège de Charlie Hebdo.
Les soi-disant vengeurs du Prophète ont assassiné un homme qui portait son nom, Ahmed étant une contraction de Mohammed. Issu de cette immigration qui enrichit la France, Ahmed Merabet est mort au champ d’honneur, comme les 11 autres « soldats » de la liberté qui ont péri sous les balles des kalachnikovs de Cherif et Saïd Kouachi. À Charleville-Mézières comme partout en France, on n’est pas près de l’oublier.

Ahmed Merabet, 42 ans, venait d’obtenir sa qualification d’officier de police judiciaire. Selon ses proches, il était « intègre et respectueux ». (DR)

Membre de la brigade VTT du commissariat du 11ème arrondissement, Ahmed Merabet, blessé par balle, a été achevé alors qu’il se trouvait à terre. Saïd Kouachi serait l’auteur de ce tir mortel. (Capture vidéo)
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