La crise économique et financière impacte le chiffre d’affaires des petits commerces. Quand certains résistent pour ne pas baisser le rideau, d’autres se lancent dans l’aventure. C’est le pari – réussi – qu’a fait Karim Mehrez, patron du bar « L’Apostrophe », avenue Danton. Un an après son ouverture, en 2011, une soirée anniversaire était organisée ce samedi 14 juillet.

Karim et Daisy (au centre) symbolisent la société multiculturelle d’aujourd’hui. (Photo @rdenne-mag)
Karim Mehrez, 30 ans, est issu d’une famille de commerçants. Son parcours professionnel ne l’a pas conduit directement derrière un comptoir. Après avoir travaillé dans le social en tant qu’animateur, le Revinois a vécu la galère des intermittents du spectacle. Pendant quelques années, il a fait partie de l’association Passerelle Théâtre.
Depuis sa fermeture en 2007, le bar « Le David », situé avenue Danton, est resté à l’abandon, lorsque l’opportunité se présente au jeune Revinois d’acheter les murs, dans un premier temps, et de créer un fonds de commerce.
Lassé par l’instabilité de son statut d’intermittent, Karim choisit de s’investir dans l’ouverture d’un bar. Il finalise son projet, qui vise notamment « à redynamiser le quartier, surtout en direction des jeunes, un créneau que personne n’exploite. » Le futur barman emprunte l’argent nécessaire, avec le soutien de sa famille.
Titulaire d’un baccalauréat informatique de gestion, bénéficiant d’une première expérience pour avoir tenu un temps le snack familial, il se sent prêt à se lancer à son compte en compagnie de Daisy, sa « moitié » qui, elle-même, ne manque pas de références, puisqu’ayant déjà travaillé en Belgique et au François 1er, l’hôtel-restaurant revinois bien connu.
Le point sur « L’Apostrophe »
Même si certains écrivains reconnus ont séjourné ou traversé Revin, appeler son bar « L’Apostrophe » est plutôt original dans cette petite ville ouvrière de la Vallée de la Meuse. Par curiosité, nous avons voulu connaître le pourquoi de la chose.
« Je voulais rester sur une note littéraire, en lien avec mon passé professionnel, explique l’ex-comédien. Je souhaitais aussi apporter une touche culturelle à mon projet.» Jusque là, le contrat semble rempli.
Karim est persuadé que la culture permet d’ouvrir les esprits à la tolérance, au respect. Des notions qui vont permettre aux uns et aux autres de mieux se comprendre, « tout simplement. »
Majoritairement composée de jeunes, la clientèle adhère aux valeurs du proprio. Les 16-35 ans « squattent » les lieux, mais le bar étant ouvert de 8 heures du matin à 1 heure, certains soirs, elle est toutefois diversifiée.
Le matin, les retraités viennent faire leur tiercé, qu’ils déposent ensuite au PMU voisin. Une forte communauté d’anciens travailleurs maghrébins constitue la clientèle du début de journée. Le patron étant bilingue, ça facilite le dialogue.
Comme pour les jeunes, les oreilles des papys sont éduquées à écouter tous les genres musicaux : du raï à la chanson française, comme Charles Aznavour. « L’Apostrophe » est une sorte de melting pot.
La décoration de ce bar cosy est originale. Les murs sont recouverts de pochettes de vinyles. Ceux que Karim a écoutés depuis son adolescence. En les parcourant, on effectue une sorte de tour du monde « des » musiques. « C’est ma vie qui est comme ça, lâche-t-il. La déco est à mon image, à celle de mon état d’esprit. J’ai voulu montrer aussi ce qu’était le disque avant l’arrivée du numérique. »
Le paradis de la chicha
La superbe cave voûtée de « L’Apostrophe » est le royaume des fumeurs de chichas. Arthur Rimbaud y aurait certainement fait un détour s’il n’était pas mort depuis longtemps. L’espace a été aménagé (aération, sortie de secours) pour y accueillir les amateurs.
La chicha est très « tendance » chez les jeunes. Pour eux, c’est un moyen convivial de se retrouver en groupe autour d’un narguilé. Le produit est à base de tabac non traité et d’arômes de fruits naturels, qui sont liés avec de la mélasse de miel.
Pour les moins de 18 ans, le bar revinois propose une chicha sans tabac. L’herbe à Nicot est remplacée par des plantes de montagne, « sans aucune nocivité ou accoutumance », selon Karim Mehrez.
De Givet à Charleville-Mézières, « L’Apostrophe » est le seul café à proposer narguilés et chichas. Ce service ne faisait pas partie du projet de création de l’établissement. Le jeune commerçant voulait aménager sa cave pour accueillir uniquement des concerts.
Mais les nombreuses demandes de clients l’ont fait changer d’avis. « J’ai vu des jeunes aller jusqu’à Reims pour fumer une chicha », argumente-t-il. Karim a donc décidé d’exploiter cette niche économique, tout en satisfaisant sa clientèle. Et tant pis si les médecins critiquent cette manière de fumer !

Dans l’après-midi d’un 14 juillet maussade, la pluie a vidé la terrasse, mais la fête nocturne a réchauffé les cœurs. (Photo @rdenne-mag)
De l’électro au gwana
Depuis l’ouverture de son bar, Karim Mehrez propose au moins une animation musicale par mois. « J’invite souvent des locaux, informe-t-il. J’essaie de leur donner la chance de s’exprimer, d’être confrontés à un public et de le fidéliser, ce qui leur permettra d’aller plus loin. »
Tous les styles de musique sont les bienvenus. « Lors de l’inauguration, on avait proposé un concert de world music, un concentré de musique Gnawa (du nom d’un peuple marocain, les Gnaouas, ndlr), avec de l’électro, un peu de pop anglaise et du chant. Il y avait un joueur de tablâ indien (percussion, ndlr) avec une danseuse. J’ai déjà fait venir un groupe rock, de variétés, un DJ. J’essaie de faire un mix avec tout ça, afin que les gens ne s’ennuient pas. »
Pour le premier anniversaire de « L’Apostrophe », le rap était à l’honneur, parce qu’il y a « une grosse demande ». C’est un groupe carolo, les Black Silver, qui a animé la soirée. Karim avait également invité un sosie de Mickaël Jackson « pour mettre un peu le show ». L’artiste est venu avec deux danseuses dans le but de « nous faire le spectacle », mais aussi de rendre hommage à la star américaine, décédée le 25 juin 2009.
Karim Mehrez est un fan de l’inventeur du moonwalk. « C’est un artiste qui m’a beaucoup inspiré dans la vie. Pour moi, c’est un génie. J’ai voulu lui rendre hommage lors de l’anniversaire de mon bar. C’était un grand monsieur. »
La soirée s’est achevée par un feu d’artifice et une distribution de cadeaux, suite à la tombola gratuite organisée par un patron de bar qui – décidément – avait choisi de gâter particulièrement sa clientèle, au soir de ce 14 juillet.
Melting pot
Si cet anniversaire a mis la fête en avant, il a aussi été l’occasion de faire le bilan de douze mois d’activité. Globalement, Karim est satisfait de son chiffre d’affaires, même s’il reconnaît que les temps sont durs.
« Les gens sont près de leurs sous, constate le patron de « L’Apostrophe ». On sent la crise, on ne peut pas dire le contraire. » La période électorale n’a pas été favorable au commerce. « Les gens étaient incertains de leur avenir, poursuit-il. Ils attendaient de voir ce qui allait se passer avant de libérer un peu la soupape. »
Si l’activité s’avère concluante financièrement, elle l’est encore plus en ce qui concerne son bilan social. Karim et Daisy sont satisfaits de voir les gens se mélanger. Par leur diversité, les origines et les cultures s’enrichissent mutuellement. Comme leur couple.
« ‘’L’Apostrophe ‘’, c’est un cocon familial. Les clients ont joué le jeu. Ils respectent mon outil de travail, c’est-à-dire l’endroit où on les accueille. Ici, il n’y a pas de violence, de dégradations. » Karim aime à dire qu’il essaie de faire en sorte que lorsqu’une personne entre dans son café, elle se sente mieux que chez elle.
Tenir un café n’est pourtant pas toujours une sinécure. Certains viennent parfois « vider leur sac ». «Barman, c’est aussi un métier de psychologue, plaisante le jeune homme. On devrait demander des indemnités à la Sécurité Sociale, même si elle nous accuse de creuser le trou avec l’alcool qu’on vend. »
Mais à côté de ces moments pénibles – ou tout simplement barbants -, Karim Mehrez reconnaît qu’il vit plus souvent des moments de joie derrière son comptoir. Et ce n’est pas Daisy qui le contredira.