L’optimisme affiché par les membres de l’intersyndicale (CFDT, CGT, CGE-CGC) irrite Philippe Payen, représentant syndical FO. Ne serait-ce, tout d’abord, qu’en raison de la fluctuation des chiffres annoncés. Le 4 septembre 2013, Selni s’était porté candidat à la reprise d’Ardam. Le fabricant français de moteurs électriques évoquait le maintien de l’emploi pour 230 salariés. En fait, ils ne seront que 186.
« Je ne suis que représentant de la section syndicale Force Ouvrière, déclare M. Payen. Mon syndicat a obtenu moins de 10% lors des dernières élections professionnelles en 2010. La CFDT, syndicat majoritaire, a refusé ma présence au comité d’entreprise en tant qu’observateur. On comprend aujourd’hui le pourquoi ».
Pour ceux qui ne comprendraient pas le sens cette dernière phrase sibylline, le RSS ne craint pas d’utiliser des formules fortes. « Je n’ai pas peur de dénoncer les arrangements odieux du couple direction Electrolux / Intersyndicale », accuse-t-il.
L’époque de la solidarité est révolue. Il est loin, en effet, ce 22 octobre 2013, quand des militants FO débraient à l’occasion du premier anniversaire de l’annonce faite par le groupe d’électroménager suédois. Ils manifestent devant la mairie de Revin « contre la délocalisation boursière d’Electrolux ».
Fait inédit dans les annales syndicales de l’entreprise, les délégués CFDT remplacent les grévistes FO à leur poste de travail. Aujourd’hui, la guerre est déclarée entre Force Ouvrière et les syndicats membres de l’intersyndicale.
L’intersyndicale « au tribunal »
Philippe Payen se veut accusateur. L’intersyndicale « ne s’est jamais battue contre la direction d’Electrolux ». Pour appuyer son propos, le bouillant RSS cite en exemple l’accord récemment conclu entre Electrolux Italie et les représentants syndicaux de ses quatre sites de production du Nord et du Centre de l’Italie.
Le scénario était identique à celui de la vallée de la Meuse : délocalisation en Pologne, fermeture d’usines (5 700 emplois menacés). Après neuf mois de négociations et 150 heures de grève, les représentants syndicaux italiens ont obtenu une victoire contre les délocalisations.
Il n’y aura pas de happy end pour les salariés revinois d’Ardam. « Aujourd’hui, nous sommes encore 400 personnes, note M. Payen. Selni reprend 186 personnes. Environ 100 départs en « pré-retraite maison » sont prévus. Le reste des départs seront volontaires ». Encore pourrait-on entourer cet adjectif avec des guillemets.
Le RSS poursuit son implacable décompte. « Parmi les 186 personnes restants chez Selni, explique-t-il, 66 vont fabriquer des petits moteurs de volets roulants destinés à un client turc, alors que Selni a déjà une usine en Turquie. C’est une pure utopie. Et de poursuivre : « 120 personnes vont fabriquer des moteurs de machines à laver pour Electrolux ». Le hic, c’est que Selni serait trop cher de 0,55 €. Il faudrait 20 personnes en moins pour que le site revinois soit compétitif.
Force Ouvrière imagine un avenir plutôt noir pour l’avenir du site revinois. Qu’on en juge : « Electrolux maintient les 186 emplois de Selni sous perfusion pendant trois ou quatre ans, ensuite débranche. Selni, déjà en mauvaise santé, dépose le bilan, puis est placé en liquidation judiciaire. La conséquence serait pour nous un licenciement avec prime légale payée par le contribuable. Electrolux est alors oublié, son image n’a pas été salie. Vous comprendrez que nous, FO, nous appelions ces 186 personnes ‘les cocus d’Electrolux’».
Des négociations « bâclées »
En ce moment, l’intersyndicale négocie un PSE (plan de sauvegarde de l’emploi, anciennement plan social, ndlr). Une telle négociation se déroule habituellement sur deux ou trois mois, selon Philippe Payen. Ce délai permet notamment la réalisation d’une expertise comptable du business plan. Chez Ardam, ce PSE sera négocié en « quinze jours chrono, c’est-à-dire bâclé », avec l’ouverture des livrets 1 et 2, lors du comité central d’entreprise du 12 mai 2014. La clôture est prévue le 27 mai, toujours en CCE.
« Pourquoi tant de précipitation ? », s’interroge le représentant Force Ouvrière. « Tout simplement parce qu’une élection a lieu le 3 juin 2014, avec renouvellement des délégués. FO va probablement prendre le pouvoir syndical », affirme-t-il sans ambages.
En cas de victoire, son syndicat entend « demander des comptes à Electrolux » et l’interroger sur « la cause économique (de son) départ ». « Nous sommes en ordre de bataille avec l’aide de notre avocat Me Philippe Brun, rémunéré individuellement par notre collectif FO ».
Discrimination syndicale ?
S’il est encore un point qui fait sortir de ses gonds le représentant syndical, c’est bien celui du temps alloué pour exercer ses responsabilités. Écarté des négociations, FO bénéficie d’une portion congrue par rapport aux membres de l’intersyndicale. « Depuis le 22 octobre 2012, la plupart des délégués CGT et CFDT consacrent tout leur temps au travail syndical et distribuent leurs tracts dans l’enceinte de l’entreprise à n’importe quelle heure, enfreignant la loi », observe-t-il.
Philippe Payen ne dispose que de 4 heures par mois pour exercer son travail syndical quand un délégué a droit à 20 heures. Étant donné la situation exceptionnelle de l’usine, le représentant est allé voir le directeur des ressources humaines, François Giron, pour obtenir une rallonge.
« J’ai eu le droit à un refus catégorique, rapporte-t-il. Pire, le RSS se serait fait tacler à propos des conditions de distribution des tracts syndicaux. Pour Force Ouvrière, « c’est à la sortie de l’usine, durant les heures d’entrée ou de sortie des salariés ».
Estimant son syndicat discriminé, Philippe Payen raconte avoir crié à l’injustice et « claqué la porte tellement fort qu’un des gardes du corps de madame la directrice Llovera-Villy (5 gardes du corps en 2012, contre deux seulement aujourd’hui) a posé sa main sur moi, au col, pour me calmer ». Un comportement qui coûtera une mise à pied au syndicaliste, avec menace de licenciement sec.
Au passage, précisons que le comité de direction (dont Agnès Llovera-Villy) ne sera pas repris par Selni. « Pas de soucis, commente M. Payen, un ‘méga-chèque’ est prévu pour eux ». Des indemnités qu’il justifie par le rôle de la direction dans la cession. « Ils ont rempli leur contrat, analyse le RSS avec amertume. Ils n’ont pas sali l’image d’Electrolux ».
Pré-retraites améliorées
Le 16 mai 2014, l’intersyndicale a fait connaître par un tract l’état d’avancement des négociations. Quelques données chiffrées ont été annoncées concernant les indemnités à verser aux personnels partant en pré-retraite.
Pour les pré-retraités « maison », Philippe Payen ne s’inquiète pas. « Pas de soucis pour eux », résume-t-il, lapidaire. Le plan concerne les personnes nées jusqu’en 1960. « Certaines personnes nées en 1960 ont commencé à travailler à 20 ans, voir 27 ans, et partent en pré-retraite maison en octobre 2014 », détaille-t-il.
En l’état actuel des négociations, les pré-retraites « Ardam » permettront au salarié de toucher 85 % de la rémunération nette de référence auxquels il convient d’ajouter l’indemnité conventionnelle de licenciement. Une majoration de 25 000 € bruts est prévue en cas de portage* de moins de 60 mois. Elle sera de 15 000 € bruts, en cas de portage de plus de 60 mois.
L’Intersyndicale veut cependant aller au-delà. Elle souhaite qu’une prime d’intéressement soit incluse dans le salaire de référence avec une majoration de 1,5 % au 1er janvier de chaque année. L’indemnité conventionnelle de licenciement ne pourrait pas être inférieure à 10 000 €. Cette indemnité serait également majorée de 25 000 € bruts en cas de portage de moins de 60 mois, ou 15 000 € bruts en cas de portage de plus de 60 mois.
Pour que ces chiffres soient plus parlants, Philippe Payen prend l’exemple d’un cadre de 57 ans, avec une ancienneté de 30 ans percevant une rémunération de 4 000 euros bruts par mois, sur le point de partir en pré-retraite. « Ce dernier aura droit à l’indemnité légale de licenciement, qui s’élève aux 3/5èmes bruts du salaire par année d’ancienneté (il aura droit selon ce calcul à 72 000 euros d’indemnité de licenciement). Mais le PSE ajoute à cela une prime de 25 000 euros pour départ en pré-retraite. Par ailleurs, ils bénéficieront d’une rente égale à 85 % de leur salaire jusqu’au moment où ils atteindront l’âge légal de départ à la retraite ».
L’amertume est réelle quand le responsable de la section FO fustige le « beau cadeau d’Electrolux à des salariés proches de la retraite, dont la perte d’emploi ne porte pas un préjudice aussi important que pour un jeune qui a tout à construire… ». Et pour enfoncer le clou, le syndicaliste informe les « cocus » d’Electrolux que « 80 % des membres de l’intersyndicale sont des pré-retraités ».
Méfiant envers le repreneur Selni, FO exhorte l’intersyndicale à se battre pour obtenir une prime de transfert et un fonds de garantie.
Préjudice moral
En ce qui concerne la prime de préjudice moral pour les personnes qui seront reprises par Selni, l’intersyndicale a récemment admis que « cette question n’a pas encore été mise à l’ordre du jour (des) discussions, mais nous l’avons bien évidemment abordée. On sait qu’elle sera compliquée à obtenir ».
Ses représentants ont affirmé qu’ils ne lâcheraient rien sur le sujet et que cette prime constituait « une des conditions incontournables pour que le PSE soit admissible ».
Il n’en demeure pas moins que les négociations qui ont cours sont délicates, malgré l’optimisme affiché par l’intersyndicale. « Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir avant de trouver un accord définitif », nuance-t-elle toutefois. Chaque salarié y trouvera-t-il son compte le 27 mai prochain ? FO n’en est pas convaincu.
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* Portage : « Le portage salarial est un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l’entreprise de portage. Il garantit les droits de la personne portée sur son apport de clientèle. » (Code du travail, article L. 1251-64.)
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Article modifié le mardi 20 mai 2014, 11h15.