La collection Belfond de dessins d’écrivains a été dispersée par Artcurial, à l’Hôtel Dassault (Paris, 8e), ce mardi 14 février. Une pièce rarissime d’Arthur Rimbaud était proposée à la vente. Bien que d’un intérêt artistique contestable, elle a été adjugée 285 554 € (frais et taxes compris).

Le « Jeune cocher » de Rimbaud pourrait rouler en Porsche grâce au résultat de l'enchère. (Crédit : Artcurial, DR).
On ne sait pas si certains d’entre eux ont été offerts comme cadeau de Saint Valentin aux muses des collectionneurs inspirés et heureux qui, en tout anonymat, ont acquis les œuvres graphiques d’Apollinaire, Cocteau, Prévert ou George Sand, pour n’en citer que quelques-uns. Dans l’affirmative, c’était tout de même plus « classe » que de recevoir une rose de Chine ou d’Afrique, fût-elle du plus beau rouge.
Malgré 24 lots invendus (dont un Verlaine), la vente Belfond a tout de même rapporté quelque 1 570 323 €. Il aura fallu un peu plus de quarante ans à l’éditeur Pierre Belfond et à son épouse Franca pour réunir 135 dessins… et s’en séparer avec tristesse.
Un cocher qui a la cote
Le lot vedette portait le numéro 105. « Jeune cocher de Londres » est l’un des 16 dessins réalisés par Rimbaud dans sa jeunesse. D’où sa rareté et son estimation (entre 120 000 et 150 000 €), dont il a crevé le plafond, alors que Cocteau faisait pâle figure avec un lot comportant 21 dessins (217 398 € tout de même ) !
Le jeune cocher londonien croqué par l’homme aux semelles de vent en 1873 ressemble plus à une créature monstrueuse qu’à un fringant meneur de chevaux. Il faut dire qu’à l’époque, les cochers londoniens étaient « des personnages universellement réputés pour leur langage ordurier, leur caractère violent et leur ivrognerie ». Bref, ils avaient de quoi inspirer le trait de crayon de l’auteur de l’«Orgie Parisienne ».
Verlaine a probablement annoté le dessin, qui date de leur séjour commun à Londres, conservant « jusqu’à sa mort cette relique de son compagnonnage avec Rimbaud ».
On peut gloser sur la folie qui s’empare de certains collectionneurs lorsque des œuvres exceptionnelles arrivent sur le marché, mais la passion n’a pas de prix et s’il s’est trouvé un amateur pour maintenir cet élément du patrimoine national en France, tant mieux ! Engager un seul centime d’argent public sur ce « Jeune cocher de Londres » aurait été déraisonnable par les temps qui courent.

Verlaine était un caricaturiste de talent. (Crédit : Artcurial, DR).
Verlaine, le poète de Juniville
Ardennais d’adoption, Verlaine était meilleur dessinateur que son ami Rimbaud. Quatre de ses œuvres étaient proposées à la vente. La première est un portrait des compositeurs Charles de Sivry (son beau-frère) et Emmanuel Chabrier jouant au piano à quatre mains. Le poète de Juniville s’est représenté sur ce dessin à l’encre et la plume, daté aux environs de 1869.
Estimé entre 20 000 et 30 000 €, ce « Quadrille à quatre pattes » avec autoportrait – (estimé entre 20 000 et 30 000 €) est parti à 25 322 €. Un prix moyen, en somme. La caricature du poète est toutefois d’une belle facture, fine et élégante.
Le deuxième lot verlainien comportait deux dessins. Au recto du document, un « Portrait de Napoléon III après Sedan » accompagne un dizain autographe signé « François Coppée. PV ». Au verso figure un « Autoportrait en chérubin à la pipe, qui illustre son poème « Des morts » (1872), « très beaux vers de potache », selon l’auteur lui-même. Ces deux dessins encre et plume ont fait 68 694 € pour une estimation entre 20 000 et 30 000 €.

Le physique disgracieux de Verlaine a inspiré l'intéressé lui-même. (Crédit : Artcurial, DR).
Quant au « Couple de singes et autoportraits simiesques » (1873), il est censé souligner « l’originalité babouinesque » du poète, une caractéristique physique soulignée par son ami (?) Edmond Lepelletier : « Vieilli, sa physionomie disgracieuse et bizarre, asymétrique, avec son crâne bossué et son nez camard, (…). On s’accoutumait à son masque faunesque, (…) à son aspect sinsitre (…). Mais, dans sa jeunesse, il était d’une laideur grostesque ; il ressemblait non pas au type mongoloïde, comme on l’a dit, mais à un singe, et son originalité babouinesque ne pouvait inspirer à une femme qu’un sentiment d’éloignement, de répugnance, peut-être d’effroi et de dégoût ». Il faut cvroire que la laideur fait recette, car les caricatures babouines ont grimpé jusqu’à 43 910 € (estimation entre 15 000 et 20 000 €).
Un dernier autoportrait de Verlaine n’ a toutefois pas trouvé preneur. « Paul Verlaine par Paul Verlaine », dessin à l’encre diluée, était pourtant présenté comme un « puissant autoportrait aux teintes vertes et rousses évoquant le mélange éminemment verlainien de l’encre et de l’absinthe ». Les enchérisseurs étaient peut-être tous des buveurs d’eau. Pas un ne s’est laissé tenter par la fée verte.

René Daumal exécrait le colonialisme. (Crédit : Artcurial, DR).
René Daumal
Né à Boulzicourt, le cofondateur de l’éphémère revue « Le Grand Jeu » côtoyait les plus grands noms de la littérature française au cours de cette vente d’exception. Intuitif, en rupture avec le monde figé qui l’entoure, il expérimente, en quête d’une vie nouvelle.
Issu du mouvement surréaliste, il avait bien des ressemblances avec son illustre prédécesseur carolopolitain. En quête d’absolu, amateur lui aussi du « dérèglement de tous les sens » (à l’aide de tétrachlorométhane), il tire le diable par la queue et meurt à l’âge de 36 ans en laissant une œuvre singulière.
Les quatre lots mis en vente concernent des scènes africaines, à la mine de plomb. Une causticité inspirée d’Alfred Jarry s’y exerce parfois, comme dans « Apparition du grand thaumaturge après soixante-dix jours de cuisson du chaudron magique », scène satirique dans laquelle on voit une caricature d’homme noir devant un chaudron fumant. La scène est observée par un Blanc portant béret (mais sans baguette de pain).
Attiré par l’hindouisme sacré, Daumal est allé jusqu’à apprendre le sanskrit ! L’auteur de « La Grande beuverie » se passionnait également pour les arts premiers. « Cérémonie magique en Afrique Noire » représente un personnage en train de danser devant trois musiciens, tandis que « Grande cérémonie magique pour la fin de la colonisation blanche chez les Wolofs » et « L’arrivée du grand crétiniseur » participent de la critique du colonialisme, que pourfendait l’ancien membre de la communauté des « Phrères Simplistes ».
Estimés chacun entre 1 000 et 1 500 €, les lots sont partis respectivement à 1 913 €, 2 550 €, 2 295 € et 5 100 €. On était bien loin du « Jeune cocher de Londres » et de son enchère phénoménale.

Napoléon III vu par Paul Verlaine. (Crédit : Artcurial, DR).

Paul Verlaine, autoportrait invendu (Crédit : Artcurial, DR).
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